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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    (le travers, il est vrai, pas très épaisse, mais fri­sée, comme chez les gens de la race bohémienne. Nos regards ne se croisèrent point, car je remar­quai qu’il, regardait attentivement mon filet. J’en fus très étonné. Je me demandai pour quelle raison mon vieux filet, auquel il manquait quel­ques mailles, avait pu intéresser cet homme. Il n’y avait dedans qu’un kilo de pommes, quatre livres que je venais d’acheter et c’était tout. Tout en essayant de répondre aux questions qui tourbillonnaient dans ma tête, je sentis que je devais entreprendre quelque chose, que je ne devais pas rester là, figé sous ce regard curieux.
    — Faites-moi, gentille Valérienne, un kilo de poires, priai-je la jeune femme, et, pour faire un peu de place dans mon filet, je sortis mes livres.
    Et alors, je compris tout de suite ce qui avait attiré l’attention de l’inconnu, pourquoi il m’avait emboîté le pas. 11 avait remarqué un livre, celui du dessus. Relié à merveille, ce livre, vrai­ment, sautait aux yeux. La couverture d’un bleu foncé représentait le ciel, un ciel semé d’étoiles, qui, plus nombreuses en un endroit, formaient une espèce de Voie Lactée sur laquelle, en carac­tères bien lisibles, on pouvait lire le titre. Il était clair qu’un livre pareil, avec une couverture voyante, ne pouvait pas ne pas sauter aux yeux.
    — Dis donc, petit père, où est-ce que tu as acheté ce livre? me demanda l’inconnu d’une voix émue. Je vis en même temps sa main, une main trem­blante, aux doigts noueux, se tendre pour saisir l’oeuvre convoitée. Excuse-moi, si je suis un peu gênant, dis-moi seulement où tu l’as acheté.
    Ayant les deux mains occupées à tenir le fi­let dans lequel la jeune femme aux Valériennes me versait les poires, je lui montrai do la tête dans un coin du marché, en disant:
    — Tenez, là-bas, derrière ce magasin. Voyez, dans le petit pavillon bleu.
    L’inconnu disparut aussitôt sans plus rien me demander, il disparut si vite que j’en fus mê­me un peu fâché. Le fait que je venais de perdre une personne assez curieuse me chagrina un peu. J’aurais voulu la connaître de plus près, lui par­ler. Courir après? J’avais voulu le faire, mais je vis qu’il était abordé en chemin par un garçon en chapeau de paille et deux hommes d’un certain âge. Toute une compagnie.
    — On dirait qu’ils courent aufeu, ce Marco et sa bande! lança la jeune femme aux poires, regar­dant dans la direction du pavillon bleu. Elle dirigea ensuite son regard sur mon livre, s’arrêta une seconde pour en lire le titre et ajouta d’un ton pensif:
    — On doit sûrement parler d’eux dans ce livre. Ça lui a fait un coup.
    — Oui, c’est un livre sur la vie des Tziganes. Un livre très intéressant, d’ailleurs. Il paraît pour la première fois.
    — Ah bon, voilà alors pourquoi... C’est pour ça qu’ils sont tous là. Et si ce bouquin avait été écrit en leur langue, il y en aurait eu, du bruit C’est bien ça, au moins, qu’on ait publié un li­vre pareil, sur la vie des Tziganes. Il coûte cher, non?
    Je lui répondis, tout en remettant les livres dans le filet.
    — Vous avez bien dit Marco? Alors, vous le connaissez?
    — Oui, je l’ai vu plus d’une fois sur le mar­ché. Et avant aussi, dans mon village. Il doit travailler à la briqueterie ou à la tourbière, près de la rivière, près du Prypiatz. On dit même qu’ils sont là-bas engrand nombre.
    Je payai la jeune femme et je me perdis bientôt
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    dans la foule grouillante du marché. Un peu plus loin, dans un coin de la place du marché, on entendait le bruit métallique des articles de fer, remués par les acheteurs, le bruit des pots de ter­re. On voyait là toutes sortes do bricoles taillées dans du bois, et tous ces articles étaient à même le sol. Je me dirigeai donc vers ce petit coin qui m’avait attiré dès mon arrivée sur la place du marché. Mais mon regard glissait vaguement sur ce qu’il y avait par terre, sur les tables, car, mes pensées étaient occupées par Marco, par le livre qui avait été la cause de cette rencontre curieuse. A vrai dire, l’aventure était assez curieuse et chaque détail paraissait avoir maintenant un certain charme.
    L’oeuvre qui avait attiré le vieux Tzigane, je l’avais moi-même recherchée assez longtemps. Je savais que ce livre venait d’être publié, je l’avais cherché partout sans le trouver nulle part. C’était en vain que j’avais fait toutes les librai­ries de Minsk, je l’avais cherché dans toutes les villes où j’avais été envoyé en mission. J’avais même été voir les dépôts de livres. 11 était trop tard, les stocks avaient été épuisés. C’était aussi en vain que je l’avais demandé dans les librai­ries de Pinsk où je venais d’arriver. Le peu d’exem­plaires qu’elles avaient reçus avaient été ven­dus en un clin d’oeil. Et voilà qu’aujourd’hui, je le trouvai, tout à fait par hasard, dans ce petit pavillon perdu sur la place du marché. Une peti­te boutique, comme beaucoup d’autres, mais plei­ne à craquer de livres. Les trois murs en étaient cachés de bas en haut; des piles par terre, près des étagères, des livres partout. Il y avait aussi deux étagères avec des fournitures scolaires de toutes sortes, des accessoires de bureau, ça fait qu'on ne pouvait lire le titre des livres que de loin. Je parcourus des yeux les dos des couvertures des
    livres placés sur les étagères. Je m’approchai plus près du troisième mur où rien ne gênait les acheteurs qui pouvaient choisir leurs livres. Là, c’était le libre service, j’en profitai pour faire mon choix, sans me presser.
    «Tu n’as jamais existé, pays des Tziganes», ce li­vre me tomba sous la main lorsque je fouillais sur une des étagères d’où j’avais déjà choisi deux bouquins que je tenais serrés sous le bras. A la vue de ce livre aux dimensions modestes, à la couverture extra, j’eus un petit coup au coeur, une vague de chaleur m’envahit tout entier c’était comme si j’avais tiré une braise ardente des cendres d’un feu presque éteint. Je n’arri­vais pas à croire que je tenais l’oeuvre magnifi­que, tant convoitée. Sa couverture représentait le ciel, éclairé d’en bas par une lumière pourpre, semé d’étoiles dans la ronde desquelles dansaient d’une manière comique les mots traduisant le titre de l’oeuvre. Ce titre criait le destin des Tziganes. J’en fus tellement impressioné que j’eus la sensation d’être là, seul, sous ce ciel ima­ginaire; un frisson de joie me parcourut. Un in­stant après, vivant encore de l’impression de la trouvaille, je feuilletai le livre. 11 était riche en illustrations de couleurs, il y avait beaucoup de dialogues, de proverbes, de dictons et de chan­sons populaires; le souffle mystérieux et capti­vant de la vie des Tziganes semblait émaner de ses pages. Un auteur hongrois avait recueilli et reproduit tous les contes qui entraient dans cette oeuvre; toutes les illustrations avaient été également l’oeuvre d’un dessinateur hon­grois. Une femme delà même nationalité en avait écrit l’épilogue où elle s’était efforcée de retracer le passé des Tziganes, décrit avec une grande sym­pathie; la vie de ce peuple aujourd’hui y était radieuse. Sur la demande d’une des éditions de
    Moscou, ce livre était sorti des presses d’une des imprimeries de Budapest. Et c’était un plaisir de feuilleter et do penser en même temps à cette oeuvre qui faisait naître un sentiment de grati­tude pour toutes les bonnes paroles qu’il renfer­mait.
    Cette trouvaille m’emplit de joie. Et lorsque je trouvai encore un livre, rare, lui aussi, portant le titre de «Aperçu sur l’histoire de la langue biê lorusse», je sortis de la boutique, transporté de bonheur, heureux.
    — Des pots! Qui veut des pots? Des pots émail­lés!
    Ce cri, lancé tout près de mon oreille, me fit revenir à la réalité. J e regardai Г air railleur du potier qui vendait sa marchandise étalée à même le sol. Je lui jetai:
    — Mais vous n’avez pas que des pots! Vous avez aussi des écuelles...
    — Pots ou écuelles, tout est pareil! Tout est merveille! répliqua l’homme, me rendant la mon­naie de ma pièce. Et des terrines, choisissez celles qui ont bonne mine!
    Le vendeur était un joyeux bonhomme, déjà âgé, mais rayonnant de jeunesse et pétillant de malice. On pouvait dire que ces pots et ces écuel­les venaient compléter ce tableau amusant. Tout cet ensemble semblait sourire sous les rayons du soleil qui venait se refléter dans les faces vernies des articles, couverts d’émail. Ils semblaient sourire comme pour répondre à la mine radieuse du propriétaire.
    A côté de l’étalage de notre potier, des artic­les de bois, non moins curieux, formaient tout un royaume de tonneaux, de baquets, de barrâtes, de cuves, on pouvait y trouver n’importe quoi! Et rien à dire, tout était d’une perfection impec­cable qui caressait l’oeil, qui faisait plaisir à
    voir. Parmi tous ces objets, deux rouets, dignes d’une attention particulière, placés sur une petite table, semblaient trôner sur tout ce royaume. Neufs, avec des colliers bleus, fraîchement peints, ces rouets ressemblaient à des artistes amateurs, montés sur une estrade improvisée, prêts à com­mencer un duo. Ils avaient été placés là, sur la table, exprès pour attirer et charmer les acheteurs, pour faire voir que celui qui avait, dans le bois, taillé ces oeuvres d’art, n’était pas un simple vendeur de cuves ou de baquets.
    Le vendeur de ces choses divines était un petit vieux, svelte encore; une jeune femme se tenait à ses côtés. Le petit vieux n’était pas très lo­quace, c’était à peine s’il balbutiait quelques mots, il se taisait la plupart du temps, se tenait fier et plein d’assurance. On ne pouvait pas dire la même chose de la jeune fille, sa fille, sans dou­te. Elle s’empressait de son mieux auprès des curieux ou des acheteurs, bavardait avec plaisir et riait franchement.
    C’était un plaisir de rester là et d’observer le petit vieux et la jeune femme trônant sur leur royaume taillé dans le bois. Mais de nouvelles voix vous tiraient vers un autre monde, pas moins curieux et intéressant à la fois.
    — Achetez des poêles! Des poêles en fer!
    — Qui veut des cages?! Des aquariums?!
    — Articles de pêche! Cuillères spéciales!