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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Vladimir Ilitch l’écouta attentivement, sans l’interrompre, il ne changea que de pose, il croi­sa les jambes, ses mains sur son genou, il se pencha en avant et inclina un peu la tête.
    Quand ma mère dit que le pain de son frère aiderait à guérir sa fille malade et qu’elle avait peur de voir la petite mourir, Vladimir Ilitch l’interrompit et demanda:
    — Votre fille, quel âge a-t-elle? Qu’est-ce qu­elle a? Avez-vous fait venir un médecin?
    — Six ans. Elle est dans sa septième. L’aidemédecin de l’usine l’a examinée, il lui a pres­crit des remèdes, mais est-ce qu’on peut en ache­ter? Tantôt on n’en trouve pas, tantôt le prix n’est accessible que pour les bourgeois, cela n’est pas dans nos moyens.
    Vladimir Ilitch se renfrogna et fit d’un air pensif:
    — C’est ça, il se tourna dans le fauteuil, prit de sa table un bloc-notes et un crayon et écrivit quelque chose.
    Ma mère fut étonnée de le voir écrire si vite, elle n’avait jamais vu personne écrire aussi vite. Tout en écrivant, Lénine demanda:
    — Est-ce que votre fils va à l’école?
    — Non, il n’y va pas. Il y est allé pendant deux hivers, et maintenant, ce n’est pas pos­sible.
    Lénine se détacha de son bloc-notes, regarda ma mère droit dans les yeux et demanda:
    — Comment «ce n’est pas possible»? Pourquoi?
    — Et comment irait-il à l’école, camarade Lénine. Moi, je suis à l’usine, et la petite est malade. Qui la soignera, qui lui donnera à man­ger? Et qui cherchera du bois? Sans Vassia, nous serions morts de froid depuis longtemps. Mais j’ai peur pour lui quand il va chercher du bois. Les bourgeois le tueront, parce qu’il s’en prend à leurs palissades.
    Après ma mère s’étonnait d’avoir parlé sans discontinuer; elle n’était pas si bavarde, même avec ses voisines, avec ses camarades de travail.
    — Il s’en prend aux palissades des bourgeois? la pria de répéter Lénine et il rit d’un rire franc et bon, mais tout de suite il demanda sérieu­sement: Dites-moi, camarade, ne pourriez-vous pas faire que votre fils aille à l’école. Lénine se mit à persuader ma mère. Pour la révolution c’est très important que les enfants des ouvriers fassent leurs études. La classe ouvrière a pris le pouvoir, elle a commencé à faire une vie nou­velle et nous devons d’urgence former des gens éduquées. Eduquer les enfants des ouvriers, des paysans. Je comprends que ce n’est pas facile pour vous. Mais c’est impossible que le fils d’un soldat de l’Armée Rouge n’aille pas à l’éco­le! Je vous prie de faire tout le possible... Dites, pouvez-vous le faire?
    Ma mère répondit, à vrai dire, elle n’en était pas trop sûre:
    — Nous le ferons, camarade Lénine. Je vais envoyer Vassia à l’école.
    — Très bien. Très bien, se réjouit sincère­ment Vladimir Ilitch, comme s’il avait connu Vassia depuis longtemps et comme si depuis longtemps son sort le préoccupait.
    Ensuite, il demanda à ma mère avec intérêt une autre chose.
    — Et vos frères, comment vivent-ils? Qu’-estce qu’il y a dans le village? Que disent les paysans?
    — Mes frères sont contents de posséder enfin leur terre. Ils disent que si la terre appartient à ceux qui la travaillent, la Russie ne mourra pas de faim.
    — C’est juste. C’est très juste ce que disent vos frères. Ils ont reçu la terre d’un propriétaire fon­cier?
    — C’est la terre du grand prince près de notre village. Et la forêt lui appartenait...
    — Les grands et les petits ducs possédaient des millions de déciatines1 de terre et les paysans se pliaient sous le poids du travail pour eux. Vos frères, combien de terre avaient-ils?
    — Peu. Je ne sais pas maintenant , combien ils en avaient, mais je sais que c’était peu. Parce que mon père ne pouvait donner de la terre qu’à Kouzma son fils aîné. Deux autres frères, Ivan et Piatro, vivaient ensemble, parce qu’il n’y avait rien à leur donner, et ils n’avaient que séparé leurs mé­nages. Quand je m’étais mariée, mes frères étai­ent contents que mon mari ait travaillé à l’usine, qu’il ne fallait pas donner de la terre comme dot.
    — Ils étaient contents? demanda Vladimir Ilitch.
    Ma mère eut peur que Lénine ne pût penser mal de ses frères et expliqua:
    — Mais cette joie vient de la pauvreté.
    — Oui, de la pauvreté, consentit Lénine. Vous ne regrettez pas d’être venue en ville?
    — Non, je ne le regrette pas. Le sort d’une fem­me est dur dans un village. Dans la ville elle respire mieux. Si son mari ne boit pas, ne la bat pas. Le mien, il ne buvait pas, il était bon spécialiste dans son métier.
    Le téléphone sonna. Ma mère se rappela par­faitement qu’il avait sonné juste à ces mots.
    Lénine lui demanda pardon, se leva vivement. Pendant qu’il se dirigeait vers le téléphone qui était accroché au mur, à côté de la table, ma mère pensa avec crainte qu’elle avait parlé sans dis­continuer, oubliant la honte, qu’elle s’était éta­lée comme si elle était en visite chez des amis, qu’avec ses plaintes de femme et ses histoires elle lui avait pris un temps précieux dont il avait besoin pour d’autres affaires, pas si menues que
    1 Mesure agraire valant 1,0925 ha. (N. d. T.)
    scs affaires à elle, mais pour les grandes affaires de l’Etat. Puis, elle avait mentionné Dieu, et les bolchéviks ne sont pas croyants.
    Lénine prit le récepteur, écouta un moment et ma mère vit que son visage, qui un instant aupa­ravant était bon, attentif et compatissant, était devenu très sévère. Sa voix changea; elle avait été douce et accueillante, elle devint sévère et froide.
    — Oui, j’ai lu et j’ai déjà écrit à propos de cette affaire au membre du Revvoïensoviet1. Félix Edmoundavitch! j’exige absolument, je le souligne, que la Tchéka2 attrape et fusille ces spéculateurs et pot-de-viniers. Il faut sévir contre celle racaille, pour qu’elle s’en souvien­ne pendant longtemps. Je vous prie de tout con­trôler en personne. Envoyez-y des tchékistes3 sérieux.
    Ma mère fut effrayée par ces mots, elle ne sa­vait pas à l’époque toutes les lois impitoyables de la lutte des classes et le seul mot «fusillade» lui faissait peur.
    Lénine accrocha le récepteur et arpenta vive­ment son cabinet de travail, les mains derrière le dos. Pour quelques instants il oublia ma mè­re, envahi par ses pensées. Ensuite, il s’arrêta net devant elle et lui expliqua:
    — Une bande de spéculateurs et de pots-deviniers s’est infiltrée dans les organes soviéti­ques et (die fait échouer le ravitaillement de l’Armée. Nous luttons pour chaque pond de pain, nous l’arrachons de votre fille malade pour nourrir l’Armée et ils volent des milliers de
    1 Conseil Militaire Révolutionnaire. (N. d. T.)
    2 Commission extraordinaire, chargée de la lutte contre les ennemis de la Révolution. (N. d. T.)
    3 Membre de la Tchéka. (N. d. T.)
    ponds, des vêtements. Que voulez-vous qu’on fas­se avec eux? Il faut les fusiller! Oui, oui, les fusiller! Parce qu’ils sont beaucoup pires que ceux qui tirent sur nos soldats au front. Oui, beaucoup pires que nos adversaires les plus hai­neux et déclarés.
    Vladimir Ilitch retourna à sa table, réflé­chit un moment, puis, il prit le bloc-notes et demanda notre adresse.
    Il inscrivit l’adresse, et, le bloc-notes tou­jours a la main, tourna de l’autre main la manivelle du téléphone.
    — Camarade Siamachka, s’il vous plaît. Mikalai Alixandravitch! Je vous prie de satisfaire à ma demande. J’ai ici une ouvrière de l’usine de cartouches, la camarade Kouzmiankova. Sa fille est malade, la petite a six ans. Faites, s’il vous plaît, que l’hôpital envoie chez elle un bon docteur. Mais un médecin expérimenté qui sache établir un diagnostic, prescrire ce qu’il faut. Ecrivez l’adresse: rue Akalotatchnaia, dix-sept, appartement numéro trois. Et dites aussi que les remèdes qu’on oui prescrira lui soient don­nés gratuitement. Mikalai Aliaxandravitch! Est-ce que le Narkamzdrav1 peut enregister tous les enfants malades? Ne répétez pas, s’il vous plaît, des vérités notoires. Je sais que nous avons peu de médecins, peu d’hôpitaux. Mais nous devons commencer ce travail. Commencez par Moscou. Présentez vos proporsitions au Sovnarkom.
    Ma mère resta stupéfiée: donc, ému par une affaire d’Etat, Lénine n’avait rien oublié, ni Anetchka malade, ni son nom de famille, ni son nom patronymique, et, en même temps, il avait pensé à tous les enfants.
    1 Commissariat du peuple pour la Santé publique. (N. d. T.)
    Vladimir Ilitch dit:
    — En ce qui concerne votre demande, Aksinnia Eraféevna. Je vais écrire au Pradsavdep1 de Moscou, je demanderai aux camarades de vous donner la permission de transporter du pain, le pain, appartenant à vos frères. Ma mère sentit qu’elle allait pleurer, pleurer de joie, de recon­naissance, d’autres sentiments, qui lui étaient étrangers, qu’elle n’avait pas connus jusqu’a­lors. Elle comprenait que ce serait déplacé, hon­teux, si elle éclatait en sanglots, comme une femme simple, chez Lénine, et elle se retenait de toutes ses forces, serrant sa bouche, comme si elle avait mal aux dents.
    Lénine s’assit dans son fauteuil et se mit à écri­re. Il s’arrêta. Leva les yeux.
    — Vos frères, combien de pain vous promet­tent-ils?
    Ma mère ne put immédiatement répondre, elle dit tout bas, comme en secret:
    — Trois pouds.
    — Ecrivons quatre, dit Vladimir Ilitch, il termina, arracha la feuille, s’approcha de ma mè­re et la lui tendit.
    — A la salle de réception on vous expliquera comment vous passerez au Sovdep, à qui il vous faudra vous adresser. Bonne chance, camarade.
    Lénine serra la main de ma mère en lui disant adieu. Il la reconduisit jusqu’à la porte et lui rappela:
    — Envoyez votre fils à l’école. Absolument.
    Ces mots de Lénine se gravèrent à jamais dans la mémoirede ma mère. Elle fit tout pour nos études. Elle ne se souvint pas si elle avait ré­pondu quelque chose à Vladimir Ilitch. Elle se
    1 Section du Conseil des députes de Moscou, chargée de l’approvisionnement de la capitale. (N. d. T.)
    souvint seulement d’avoir oublié de le remercier. Quand elle se fut retrouvée dans la salle de ré­ception, elle s’en souvint.
    A cette pensée elle eut honte. Elle s’arrêta au milieu de la salle, serrant doucement la feuille contre sa poitrine, pour ne pas la froisser et regarda ceux qui attendaient leur tour, il y en avait déjà beaucoup dans la salle de récep­tion, tous voulaient parler à Lénine. Ils regar­daient ma mère, certains d’entre eux souriaient, évidemment, ils comprenaient, ce qu’elle ressen­tait après cette rencontre. Lidzia Aliaxandravna lui sourit gentiment et passa dans le cabinet de Lénine.