Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Qu’est-ce qu’elle a? nous demande la grand-mère.
— Oh! rien. Un malheur, lui répond Kazimir et raconte comment c’est arrivé.
— Eh bien... c’est-du-beau, traîne la grand mère. La colère brille dans ses yeux. Vaurien, ajoute-t-elle, en regardant Kazimir. Regardezmoi ça... Il a une barbe jusqu’au nombril et du son plein la tête. Où que c’est que t’avais les yeux quand elle volait, la bête? Fallait lui faire peur d’un bon coup.
Kazimir rougit de honte. Moi aussi, j’ai honte, encore plus que lui. Parce que je suis de la ville. Qu’est-ce que je vais leur raconter, aux pêcheurs, en ville? Que Kazimir n’a aucune autorité?
— Je n’ai pas eu le temps, grand-mère, lui réplique Kazimir, et, gêné, baisse les yeux, fixant ses bottes de caoutchouc trouées.
— T’as pas eu le temps, répète la grand-mère. Un oiseau si beau qui va beaucoup souffrir avant de mourir. Une drôle de plaisanterie de lui avoir enfoncé un crochet au fond du bec. Je vois qu’il n’y a personne pour te corriger, espèce de barbe. Regarde, combien y en a, des mouettes. C’est beau à voir! Et toi, tu... qu’est-ce que t’as à me zyeuter. File, si tu vas au docteur!
Nous continuons notre chemin.
— Tu parles d’une vieille, me dit Kazimir. C’est la mère Parasska, du kolkhoze d’à côté. Elle a une de ces langues! Elle fait peur à tout le monde, au président, aux chefs de brigade. Elle doit avoir dans les soixante-dix. Elle va aux champs avec les autres. Elle a été récompensée cet été. Elle a été à l’exposition, à Moscou. Elle a une langue pointue. Regarde le monde qu’il y a près de la rivière. On va en avoir pour longtemps à passer de l’autre côté. Elle peut crever, la mouette. En disant cela, il lui souffle sur la tête: les oiseaux aiment le chaud.
C’est étonnant que cet homme, déjà âgé, avec une longue barbe et une moustache, qui porte sur la tête un bonnet datant de la guerre de quatorze, qui a déjà des petits-fils, ait pitié, d’un oiseau, comme un enfant. Il a même du chagrin dans les yeux.
— Où est-ce que vous portez cet oiseau, papa Kazimir? lui demande un faucheur, quand ils arrivent pour passer la rivière en bateau.
Le père Kazimir lui raconte l’histoire.
— Vous avez raison d’aller chez le docteur. Il a pas fait des études pour rien. Et puis, il est payé pour ça, lui disent les faucheurs.
— Vous pourriez pas nous laisser passer les premiers, hein?
— Allez, vas-y, passe, nous lance un faucheur. Toi aussi, tu peux y aller, ajoute-t-il, me montrant du doigt.
Au bourg nous sommes entourés de toute une bande de gamins. Nous rencontrons aussi des personnes âgées, des amis de Kazimir, qui nous demandent ce qui est arrivé. Les gamins nous accompagnent jusqu’à l’infirmerie.
La cour de l’infirmerie est grande, spacieuse. On y voit des chevaux qui attendent, la tête baissée. On entend toutes sortes de cris dans
l’espèce d’étable. Il y a des moutons, des vaches, des veaux. Ce sont les malades de l'infirmerie. Ils doivent passer une cure. Près du perron de l’infirmerie il y a quelques bonshommes. Il y en a un avec un fouet. Il est tout couvert de poussière. On voit qu’il vient d’amener un cheval malade.
— Qu’est-ce que tu as là? demande l’homme au fouet.
— Une mouette.
— Elle a le bec en sang. Qu’est-ce qu’elle a? Kazimir recommence son histoire.
— Tu parles, si elle crève, ça sera pas une grosse perte. Ca donne rien, cet oiseau, dit l’homme au fouet. Il regarde l’oiseau de près et le voit cracher un caillot de sang.
— Où que c’est qu’est le docteur? questionne Kazimir.
— Dans son cabinet, lui répond l’homme au fouet et continue: allez, va, qu’est-ce que tu traînes? Tu vois pas qu’elle va crever, ta bête?
La mouette étouffe, sa tête vire au noir, elle roule les yeux, comme font les poules le soir sur leur perchoir. Nous entrons dans la salle d’attente. Il n’y a personne. Kazimir se dirige tout de suite vers une porte où il est écrit: «Docteur». Je le suis. Dans la pièce, il y a un homme assis à une table. Il est en blouse blanche, rasé de près, il a une paire de lunettes à monture d’or sur le nez.
— Bonjour, lui dit Kazimir.
L’homme s’arrête d’écrire, pose sa plume près de l’encrier et regarde la mouette.
— Hum! qu’est-ce que c’est?
Kazimir lui explique comment cela est arrivé. Et plus il parle, plus le visage du docteur s’éclaire d’un jovial sourire.
— Bon. C’est très bien que vous soyez venu, dit le docteur.
Il prend la mouette, la regarde.
— Alors, ma chère, ça ne te plait plus ta vie sur le Dniéper. Tu te jettes sur les lignes, dit-il en examinant le bec ensanglanté de l’oiseau. Et il continue: voyez-vous, la mouette, c’est comme de la poésie sur la mer, les rivières, les lacs. On lui a même consacré des chansons, bien nostalgiques d’ailleurs. Tu souffres, petite. Patiente encore un peu. Il va falloir t’opérer. On va, ma chère, t’ouvrir la gorge... te retirer l’hameçon... et te la recoudre. Tu as encore de la chance, les voies respiratoires n’ont pas été touchées. Fénia, crie-t-il tout à coup.
Des pas se font entendre.De la porte d’à côté se montre une infirmière.
— Sur le billard. Et tout de suite? Et il lui passe l’oiseau. Quant à vous, passez dans la salle de réception et attendez.
Dans la salle de réceptionnons nous asseyons tous les deux sur un banc. Le soleil, passant par la fenêtre, fait jouer ses rayons doréssur le plancher, sur les murs, sur les placards de publicité. Un bourdon se fait entendre près de la vitre. Dehors, les jeunes bouleaux donnent l’impression de se murmurer des histoires. Le vent souffle par à coups et fait frétiller leurs feuilles qui alors se collent les unes aux autres et semblent pressées de se communiquer quelque chose de très important.
— C’est bizarre, quand même, dit soudain Kazimir. Tu crois qu'il va la sauver? Je te dirais que le docteur s’y connaît. Ici tout le monde le respecte. Il a même chassé la brucellose du pays. Il en a sauvé des chats, des chiens. Il n’y a pas longtemps je vois ici une femme, elle avait un coq sous le bras. Il avait besoin d’être soigné. Attends! Nous nous taisons et prêtons l’oreille. Du cabinet du docteur des voix se font entendre.
Puis, la porte s’ouvre, le docteur outre, tenant la mouette dans ses mains. Le cou de l’oiseau est à moitié déplumé, l’endroit est couvert d’un pansement. Ses pattes et ses ailes sont bandées. Fénia, l’infirmière, sort tout de suite après le docteur. La mouette apeurée, ne fait que tourner la tête et ouvrir le bec. On ne voit plus de sang couler.
■— Voici votre malade, dit le docteur, entendant l’oiseau. Aujourd’hui ne donnez rien à manger à cette beauté du Dniéper. Demain elle pourra déjà avaler quelque chose. Donnez-lui de préférence des poissons pas trop gros, des alevins, par exemple. Dans six jours, vous me la rapportez, je lui enlèverai le pansement. Et il nous explique encore longtemps comment soigner l’oiseau.
Entre-temps, l'infirmière me tend sa mignonne petite main, en souriant:
— Tenez, vous avez oublié ça. Je vois qu’elle a dans la main l’hameçon avec le bout de crin que le docteur avait retiré de la gorge de l’oiseau.
Le soir, les gosses, par bandes, viennent voir la mouette.
— Papa Kazimir, nous avons apporté des poissons! Tenez, ils sont là, dans la boîte.
Kazimir reçoit les boîtes à conserve. 11 y en a déjà toute une rangée sur les appuis des fenêres.
Ces six jours sont pas ordinaires du tout. Ce sont pour nous comme des excursions où nous faisons les guides. Les petits surtout sont d’une curiosité! Nous dépérissons à vue d’oeil, nos voix se font rauques, car il faut raconter, raconter sans cesse comment la mouette a avalé l’hameçon, comment nous l’avons sauvée. La mouette parfois s’en mêle et commence à pousser des cris. Ensuite, à la joie de tout le monde, elle
mange un bon petit brochet et puis encore un, et encore, encore, et la voilà partie.
— Alors, ça va, la mouette? nous demandent nos voisins.
Deux voix enrouées leur répondent:
— Ça va mieux...
Le septième jour, nous la sortons de la cage et nous allons trouver le docteur.
— Dites, qu’est-ce que vous allez en faire?
Kazimir lui explique:
— Rien! On va la porter sur l’autre berge et puis, on la laissera s’envoler. Elle doit avoir un nid pas loin de l’endroit où on l’a attrapée.
— Alors, ça va.
— Docteur, permettez-moi de les accompagner, se mêle à la conversation l’infirmière.
Après une minute de réflexion Ouladzislav Tsiarentsiévitch lui dit:
— Bien... oui, allez voir.
Nous voilà dans la rue. Tout à coup Kazimir s’arrête et me remet la mouette.
— J’ai oublié, dit-il, de faire un tas de choses à la maison. Je n’ai rien fait du tout à cause d’elle. Et puis, je n’ai rien à faire avec vous. On va se foutre de moi après... Vous la ferez partir sans moi. N’oubliez pas l’endroit.
— Bien sûr, lui répond Fénia.
Nous voilà donc tous les deux dans une barque. La rivière est passée, nous marchons assez longtemps, en parlant de ci, de ça.
On était en pleine fenaison. Là, où il y a encore une semaine, il y avait de l’herbe haute jusqu’à la ceinture, il ne reste plus rien. On entend marcher les tracteurs et les faucheuses. Nous arrivons enfin à l’endroit où nous nous étions installés pour pêcher, Kazimir et moi. Fénia défait les bandes qui retenaient les ailes et les pattes. Elle la pose sur sa main tendue. L’oiseau ne bouge pas, ne
comprenant sans doute pas ce qui lui arrive tout à coup. Le Dniéper est là, qui l’attire. Et tout à coup, elle se met à battre des ailes et s’élance haut, dans le ciel. La voilà qui décrit un, deux cercles au-dessus de nous, nous lance un cri d’adieu, plein de joie. Puis elle va se poser dans le pré.
— Elle va retrouver son nid. Vous allez voir, elle va le retrouver, me dit Fénia, comme s’il m’était possible de voir si l’oiseau avait retrouvé son nid.
— Elle avait peut-être pas de nid, lui dis-je.
— Qu’est-ce que vous dites! me réplique la jeune fille avec un malicieux sourire.
— Vous savez, vous n’êtes pas mal, Fénia. Pas mal du tout.
Un compliment que je lui fais, en rougissant.
Entre-temps, la mouette s’éloigne de plus en plus, et tout à coup disparaît derrière les buissons d’osier.