Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Une fois, il n’y avait pas longtemps de cela, la
mère Mamytchykha s’était vantée de boire tous les jours une bouteille entière de kvass. Cette dernière vantardise ne lui avait valu aucun sobriquet, tout le monde savait que la vieille en réalité aimait le kvass. On pouvait bien y croire qu’elle en buvait, mais qu’elle en bût tous les jours et une pleine bouteille, personne n’y crut. Elle avait bien dit un jour qu’elle se ferait faire un sarafane1 jaune, qu’elle ressemblerait à un loriot. Mais ne se fit faire qu’une jupe do coton.
La mère Mamytchykha sentait bien que ses mensonges ne passaient pas toujours,c’est pourquoi elle choisit un moment propice pour persuader ses deux amies qui n’avaient plus confiance en elle. Alors qu’elle parlait du kvass, sa fille Nina revenait de la ville. Elle allait passer l’endroit où les trois vieilles étaient assises, quand la mère Mamytchykha l’arrêta pour lui demander:
— Tu n’as pas oublié ma bouteille? dit-elle d’une voix où se mêlaient l’incertitude et la douceur.
— Mais non, répliqua sa fille, contente d’avoir pensé à acheter une bouteille de kvass.
— Donne-la moi. C’est pas la peine de la porter à la maison.
— Tenez. La jeune femme sortit de son sac une bouteille avec une étiquette qu’elle tendit tranquillement à la vieile, la tenant par le goulot.
— Tu pourrais, peut-être, m’apporter un gobelet, hein?
Sa fille revint un instant après, lui apportant une tasse.
La mère Mamytchykha posa la tasse sur le banc, à côté d’elle. D’une main elle tenait la bouteille, de l’autre, elle en caressait l’étiquette, en disant:
1 Sarafane, m longue robe sans manches. (N. d. T.)
— Et dire qu’avant on ramassait les morceaux de pain qui restaient... On faisait le sien... Loin d’être comme celui-là. Ou bien il moisissait etétait d’une aigreur, du vinaigre... ou bien c’était pas acide du tout... Et ça... Et c’est sucré, et c’est bon, même à manger avec du pain... pas qu’à boire. Regardez voir, c’est du vrai!
— Oui, du vrai, approuva la mère Ladymiérykha.
— Et il est clair!
— Oui, il est clair. Bois-le alors, ton kvass, puisque tu l’as.
Mais la mère Mamytchykha ne se pressait pas d’ouvrir sa bouteille, et puis, elle n’avait pas envie du tout de boire, d’autant plus dans la rue. Le principal, c’était non pas de vider la bouteille, mais de faire croire qu’elle pouvait se permettre un tel hixe.
— Oui, mais comment déboucher la bouteille? commença-t-elle, comme si sérieusement cela la préoccupait. Elle tâta la capsule brillante avec ses doigts. J’ai oublié de dire à Nina de m’apporter le...
— Fais la sauter en tapant sur le fond, lui conseilla la mère Makatrykha.
— Non, c’est pas de la vodka...
— Ah! oui? Alors, avec le kvass, c’est pas la même chose?
— Bien sûr que non! Le kvass n’est pas fort.
— Mais le champagne, alors?..
Au même moment le petit fils de la mère Makatrykha passait dans la rue. La mère Makatrykha l’appela:
— Dis donc, Valiéra, on a besoin de toi... elle lui montra la bouteille. Débouche nous ça.
Le garçon s’approcha, prit la bouteille, sortit un couteau de sa poche.
— Ca va être vite fait, dit-il avec l’air de savoir y faire et fit sauter la capsule. Voyez, il n’y a pas de bouchon, une simple capsule.
La mère Mamytchykha s’en versa dans le gobelet, elle but doucement, en ayant l’air de savourer chaque gorgée. Quand le gobelet fut vide, elle en versa à ses voisines.
— Je vous jure qu’autrefois, même pendant la noce, il n’y en avait pas de pareil, recommença-t-elle à se vanter en parlant fort pour se faire entendre dans la rue. .le me souviens, pendant la noce do la Bytchykha...
«Qu’est-ce qu’elle vient faire ici la noce de la Bytchykha. Tu ferais mieux de penser à la tienne... 11 n’y avait pas de kvass du tout», voulut dire la mère Ladymiérykha, mais se ravisa:
— S’il est si bon, bois-le toute seule, ton kvass. Je préfère le mien, que j’ai fait dans le pétrin. Je vais en boire en rentrant .
— Mais le tien est loin d’être comme celui-là!
Ses voisines en goûtèrent quand même un peu. Le reste, la mère Mamytchykha le but toute seule. Après quoi, tournant la bouteille vide dans ses mains, affairée, elle dit:
— Il va falloir que j’aille à la maison porter la bouteille. Douze kopecks, c’est quand même de l’argent qu’on trouve pas dans la rue.
— Vas-y, bien sûr, l’encouragea la mère Ladymiérykha. La mère Makatrykha, se rappelant que son gendre cachait même les bouteilles, ayant servies à de l’huile, ajouta:
— Et tu sais, deux vides, ça en fait une pleine.
Alors, la mère Mamytchykha se leva lourdement, en s’appuyant sur la bouteille vide. Elle fit deux ou trois pas...
...Les deux vieilles sur le banc entendirent d’abord la bouteille se briser sur une pierre au milieu de la rue. Puis, ce qu’elles virent leur pa
rut étrange. La mère Mamytchykha venait de tomber.
Plusieurs jours de suite, le banc resta vide. Puis, la mère Makatrykha et la mère Ladymiérykha vinrent s’asseoir à leur place habituelle, elles restèrent là, sans parler, à regarder les morceaux de verre déjà couverts de poussière. Des gosses jouaient dans la rue en piaillant comme des oiseaux. Ils s’arrêtèrent près du banc et se mirent à discuter. Un nouveau jeu, peut-être. Ils couvraient de leurs voix criardes le murmure des deux vieil les. Cela les empêchait de parler de la mère Mamytchykha qui, encore il n’y a pas longtemps, était là, avec elles, assise sur le même banc.
Nina rentrait de son travail. Voyant que tous les gosses étaient pieds nus, elle se baissa et ramassa soigneusement les morceaux de verre.
1967
Mikola Loupsiakov ooo
LA MOUETTE PILLARDE
Nous sommes à la pêche, Kazimir et moi. De temps en temps, nous échangeons quelques paroles.
C’est le matin. Le soleil vient de se lever, il y a à peine une heure; la rosée sur l’herbe et les buissons commence à disparaître. Nous avons déjà eu le temps d’attraper chacun une perche, sans compter le fretin. Des mouettes pillardes volent tout le temps au-dessus de la rivière, au-dessus de l’endroit où nous pêchons. Kazimir crache1 sur son ver et jette sa ligne le plus loin possible du bord. Il espère attraper un gros poisson, c’est pourquoi, il est debout, les jambes écartées, tout prêt à tirer fort sur la ligne. Moi, je n’ai pas de touches, je ne fais que fixer mon flotteur. Tiens, celui de Kazimir vient de glisser sur la côté, tiré par un poisson. Le voilà qui plonge une fois et puis plus rien. Une minute il n’y a rien et le voilà de nouveau qui sa met à danser. Encore une touche et le flotteur s’arrête sur place. C’est ainsi que mord la brème, le gros gardon, et puis,
1 Une habitude chez les pêcheurs, considérée comme porte-bonheur a la pêche. (N. d. T.)
le petit poisson. Mais Kazimir ne compte que sur le gros poisson, il attend, les pieds enracinés sur la berge. Tout à coup, le flotteur commence à trembler doucement et puis, plonge. Il part rapidement en profondeur. Kazimir ferre d’un coup sec et tire. Un poisson argenté frétille au bout de sa ligne. Ga doit être un goujon. Kazimir a ferré si fort que le poisson avec l’hameçon et la ligne volent loin dans les buissons d’osier.
— Eh, di-a-ble, jure Kazimir. J’ai tiré un peu trop fort.
Une mouette pillarde arrive juste au-dessus du buisson où il y a le poisson.
— Va-t-en! Kazimir agite les bras. Il ne manquait plus que toi!
La mouette, pliant les ailes, tombe dans l’herbe comme une pierre. Un clin d’oeil, et elle est de nouveau dans l’air. Dans son bec elle tient le poisson et tire sur la linge de Kazimir. Ce dernier oublie tout, il s’agite et crie:
— Lâche, mais lâche donc! comme si la mouette comprenait ce qu’il lui criait.
Encore un instant et la ligne se tend. La mouette avale le poisson et l’hameçon en même temps. Elle vole en rond au-dessus du buisson, battant des ailes avec violence. Kazimir serre sa gaule et ne sait que faire. Je lui crie:
— Tire ta ligne! Mais tire donc!
Kazimir commence à tirer sa ligne. La mouet I e, fatiguée par la lutte et la douleur, se pose dans l’herbe et se cache dans une épaisse touffe. Nous avons du mal à la retirer. Elle a les ailes étendues, le bec ouvert, tout en sang. On aperçoit à peine l’hameçon dans le fond de sa gorge.
— Aïe, aïe, crie Kazimir, tenant l’oiseau dans ses mains. Qu’est-ce qu’on va en faire?
— Je no sais pas. On arrivera pas à retirer l’hameçon. On ne peut pas l’attraper. Il va mourir, l’oiseau.
— Pauvre oiseau, soupire Kazimir. Il a les larmes aux yeux. Pauvre oiseau, répète-t-il. Comment ça se fait que je n’ai pas eu le temps de la chasser. Elle doit avoir un nid, quelque part dans l’herbe. Et des petits dedans. C’est justement le temps d’avoir des petits. Alors, les petits aussi vont mourir. C’est une mère pas tout à fait comme les autres, ça se voit.
— Les petits ne vont pas mourir. Le mâle leur donnera la becquée, si celle-là, c’est une femelle.
La mouette s’agite, essaye de s’échapper des mains de Kazimir.
— Pauvre petite, soupire Kazimir.
Le sang ne s’arrête pas de couler du bec ouvert de l’oiseau. De grosses gouttes tombent sur les mains de Kazimir. Tout à coup le visage du vieux Kazimir s’illumine. Me regardant de ses yeux mi-clos, il me dit soudain:
— Coupe le crin. Mais plus vite! On a un vétérinaire au pays. Et s’il a réussi à retirer la pointe que mon cochon avait avalée, le crochet, il peut l’avoir. Tu vas voir! Il va faire ça en moins de deux. Pendant que ses petits vont pousser, on la soignera. On la laissera partir après. Le pire c’est que si elle crève en route.
Je coupe le crin. Vite je remballe les gaules. Je prends tous les poissons, les miens et ceux de Kazimir. Et nous voilà partis tous les deux à travers les prés en direction du bourg. Il est à deux kilomètres de l’endroit où nous pêchions, sur la berge opposée. On en aperçoit les premières maisons, les bouleaux du parc, ainsi que les coupoles de l’église qui vient d’avoir, comme on dit, trois cents ans cet été. L’herbe est haute, drue, nous avons du mal à marcher. Tout à coup la
mouette essaye de s’échapper des mains duKazimir. Le sang continue à goutter du bec de l’oiseau. Nous voilà enfin sur un sentier qui nous mène sur une butte. De là, nous voyons une grandmère avec un panier à la main qui marche à notre rencontre. Son visage ressemble à une tomate sèche, tellement il y a de rides. Ses yeux ont perdu leur éclat, les sourcils sont à peine tracés. Passant à côté de nous, elle nous lance un «bon-jour». Ses yeux se posent sur les mains en sang de Kazimir.