Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Nouveau froncement de sourcils mécontent.
— A rien. A tout.
— Comment?
Elle ne répondit pas. Léanid, vexé, tourna la tête et murmura un vers qui vint à la mémoire. «Pourquoi ne pas m’arrêter un instant, regarder dans le lointain, se laisser aller à la rêverie...» Involontairement, il pensa à l’horizon qui paraissait froid, malgré le soleil, au ciel bleu sans nuages, à Pair limpide et vaporeux; tout était
froid, même le bois qui vivait ses derniers jours et allait bientôt jeter se belle parure.
Ils entrèrent dans le bois. De temps en temps des branches venaient leur barrer le chemin, alors Léanid lâchait le coude de la jeune fille et retenait patiemment les branches pour la laisser passer. Le bois était plein de bruits, les feuilles bruissaient sous les pieds, le vent tantôt gémissait, tantôt sifflait dans les hautes cimes des sapins.
De place en place apparaissaient des étendues d’arbres dépouillés, là, le vent rugissait à travers le vide dés branches.
La clairière préférée, près du ravin était vide aussi. L’herbe, dans laquelle plus d’une fois ils s’étaient assis, une herbe grasse, veloutée, aujourd’hui était couverte de rouille. Le tremble, svelte, argenté, tendait ses maigres bras dénudés.
— Il n’y a que notre tronc qui n’a pas changé... dit Léanid, en embrassant Alia.
Il sentit les lèvres froides de la jeune fille. Alia déroba vite sa bouche et cacha son visage sur la poitrine de son ami.
— Qu’est-ce que tu as?
Elle se taisait.
— Tu ne veux pas me répondre?
Il remarqua sur ses cheveux bruns un fil delà vierge, signe de l’arrière-saison. Il retira soigneusement ce fil, se disant qu’il ressemblait à un cheveu gris. Soudain il vit encore un, deux, trois fils argentés qui n’étaient pas des fils de la vierge.
«Mais qu’est-ce que c’est? Pourquoi si tôt?»
— Alia, tu me caches quelque chose.. .
Sa voix était sèche, il exigeait une réponse. Alia se libéra de son étreinte, tourna la tête, fit quelques pas.
— Tu sais, je vais me mettre en colère!
Elle ne tourna même pas la tête, se taisait. «Alors, pour un rendez-vous, c’est un rendezvous», pensa Léanid, qui perdait patience.
Au-dessus d’eux, autour, les arbres gémissaient.
— Alors, comme tu veux. On va se taire!..
— Non, écoute...
Elle se tourna subitement de son côté. Il vit ses yeux, des yeux qui voulaient avoir une explication.
— Dis, Léanid... dis-moi, tu m’aimes?
Ce n’était plus une question. C’était un besoin urgent de savoir. Elle avait pris une décision, une décision ferme. 11 le lisait dans ses yeux. Le ton le disait aussi.
— Ça alors!.. Qu’est-ce que ça veut dire?.. Bien sûr... que je t’aime.
— Tu m’aimes?
— Tu as des doutes?
Ses yeux ne croyaient pas aux paroles de Léanid. Ses yeux qui savaient tout dire, gais, il n’y a pas longtemps, le regardaient aujourd’hui, sévères, décidés.
— Alors, pourquoi tu ne veux pas... Elle s’arrêta pour reprendre son souffle, pour dire enfin ce qui l’oppressait... Tu ne veux pas te marier?
— Me marier?!
Oui!
— Pourquoi crois-tu que je ne veux pas?
— Oui, pourquoi?
Il soupira:
— Tu en as des idées! Ce n’est pas le cas de dire: je ne veux pas.
— Dis-moi la vérité... Alors, tu veux...
— Mais tu sais bien, ma petite Alia... Léanid était prêt à tout lui pardonner, comme à un enfant. Il s’avança, en souriant, pour la prendre dans ses bras. Elle le repoussa fermement.
— Arrête-toi!
Léanid, ennuyé, murmura:
— Tu sais, si ce n’était pas mon petit Valodzka... il y a longtemps que... Il est si petit... Elle ne me le cédera jamais, tu comprends?
Le visage de la jeune fille se rembrunit, prit le masque de la douleur. Alia ne voulait rien comprendre. Son silence était de mauvaise augure. Léanid attendait avec impatience.
— Que c’est dégoûtant, tout ça, dit-elle comme éprouvant une grande souffrance.
— Quoi?
— De vivre avec une femme, une amie, et de lui mentir tous les jours! Tout en lui regardant dans les yeux.
— Alia... Tu ne comprends rien...
— Oui, c’est dégoûtant!
— Assez! Des leçons de conduite, je n’en ai pas besoin, dit-il avec une colère sourde.
Elle se taisait. Elle ne voulait pas répondre ou bien n’avait pas entendu. Elle ne soulevait pas les yeux, fixait le sol. Léanid se revit quelques heures avant ce rendez-vous: ému, énergique, rajeuni. Il avait prévenu sa femme qu’il avait une visite à faire à un ami, un instituteur qui travaillait à la campagne. Il est vrai, qu’avant de partir il avait eu un air, comment s’il venait de voler quelque chose. Elle avait dû avoir des soupçons, d’autant plus qu’elle avait déjà entendu des histoires sur son compte. Ce qu’elle ne savait pas encore, elle le devinait. Il revit le regard lancé par sa femme avant son départ, un regard inquiet, tourmenté. Et durant tout son trajet, debout sur la plate-forme du train, il no pouvait pas se défaire de ce regard qui le poursuivait. Il en avait gros sur le coeur...
— Ecoute, Alia, tu n’es plus une petite fille. Tu dois comprendre... que ce n’est pas si facile
que ça. Tu crois que ça me fait plaisir de mentir?!
— Mais vous la supportez quand même! Et rien...
— Tu sais, je suis fatigué. Fatigué de mentir, de cette double vie...
Il ne finit passa phrase. Il lui manquait aujourd’hui sa facilité de parler. Il ne savait que dire pour se justifier.
Pourquoi donc avait -il pu mentir jusqu’à maintenant? Il n’avait pas eu le choix. Au début, il avait essayé de raisonner, mais il n’avait trouvé aucune solution, et puis, cela avait été fort désagréable. Voilà pourquoi il s’efforça par la suite de chasser toutes ces questions auxquelles il n’avait pas trouvé de réponses et qui rendaient la vie insupportable, la privant de tout ce qu’elle avait d’agréable...
Il aimait Alia, parce que cela lui plaisait d’être aimée, cela l’amusait, peut-être. Et Léanid n’avait jamais pensé que leur relation pouvait prendre un autre aspect. Et puis, il n’y avait jamais réfléchi comme il faut. Léanid avait toujours cru que les gens étaient pour la plupart du temps malheureux, parce qu’ils ordonnaient trop leur vie, alors qu’au contraire, il fallait vivre de ce qu’on possédait aujourd’hui. Il avait un principe: «la vie est donnée pour le plaisir, il faut en profiter». Et il en profitait, seul, sans s’occuper des autres...
— Comme c’est bien pénible, tout cela... compliqué... très compliqué, Alia! dit-il avec peine.
— Oui, pénible! Pour vous seul!
Léanid remarqua combien elle était cruelle, impitoyable. Qui aurait pu croire qu’elle, si bonne, si douce, était devenue mauvaise. Comme on pouvrait se tromper!..
— Si ce n’était pas mon fils, Alia! Tu comprends, mon fils!..
— Ton fils! répliqua-t-elle, nerveuse.
Alia lui regarda dans les yeux et Léanid y lut tant de douleur qu’il eut peur.
— Ton fils!., s’écria-t-elle soudain avec désespoir. Ton fils maintenant n’est pas seul!
Dans ses yeux, l’attitude de Léanid, la douleur fit place à la peur, au désarroi. Qu’avait-elle dit? Pas seul? De quel fils était-il question?
Après avoir jeté ce qui lui avait si longtemps pesé sur le coeur, Alia fondit en larmes. Elle versa des pleurs que rien ne pouvait arrêter.
Témoin de cette pénible scène, Léanid voulait dire quelque chose, sentait qu’il devait entreprendre quoique ce soit, qu’il devait agir, mais il ne put bouger.
— Alia, qu’est-ce que ça veut dire, tout ça? Alors, c’est vrai?., dit-il avec peine.
Léanid se retourna pour voir si personne ne les écoutait. Il n’ y avait personne. Il n’y avait que les arbres qui gémissaient sous le vent.
Elle attendait, s’attendait à ce qu’il lui dise quelque chose pour la consoler. Léanid, éperdu, lui caressait le coude. Diable, il ne manquait plus que cela! Que faire? Comment la consoler? 11 avait la tête, le coeur vides.
Sans attendre un mot de consolation ou de soutien, Alia se laissa tomber sur l’herbe humide, saisit le tronc du tremble, de leur tremble, à eux, et laissa couler ses larmes, des larmes amères. Un instant, elle se tut, sécha ses larmes avec un mouchoir. Elle semblait s’être calmée. Tout à coup elle se mit à gémir, à gémir si fort que Léanid s’alarma de nouveau.
Il se pencha sur Alia, essaya gauchement de l’enlacer.
— Aüa, dis... tu ne te trompes pas?..
Elle ne répondit pas. Elle ne faisait que pleurer, pleurer et gémir en même temps.
— Ça fait longtemps?..
Tout en parlant, il lui caressait les cheveux. Les jours heureux lui revinrent à l’esprit, ces jours où c’était arrivé... Alia était allée à Babrouïsk, chez sa tante. Il l’avait accompagnée...
Ils étaient descendus un peu avant la ville... s’étaient promenés comme deux amoureux à travers champs, avaient suivi des chemins inconnus, s’étaient assis à la lisière d’un bois. C’était tellement merveilleux... Ils ne s’étaient endormis qu’à l’aube, là, sur l’herbe. Ils se sont réveillés dans les bras l’un de l’autre, salués par le chant des oiseaux et le soleil matinal... Toujours enlacés, ils gagnèrent la ville...
— Alia, mais calme-toil...
Cela lui faisait de la peine, de la peine de voir un Léanid tout autre, un Léanid qui ne pouvait rien entreprendre. Il répétait les mêmes paroles de consolation et n’arrivait pas à trouver quelque chose pour la calmer. Ils avaient un enfant, un enfant à eux. C’était une idée à laquelle Léanid avait du mal à s’habituer... C’était là une question à laquelle il était difficile de trouver une réponse plus ou moins claire...
— Alia... il ne faut pas désespérer!..
Elle ne répondit pas.
Le noeud s’était serré, serré bien fort. Dans la vie Léanid avait toujours évité ces boucles qui risquent de vous enlacer. Et voilà que la vie lui en réserva une bonne qui le serra pour de bon. Avec Tatiana, sa femme, ce fut la même histoire. Cela commença de la même façon, par des bêtises: des rendez-vous, des vers et cela s’était terminé par le mariage. Il n’avait même pas remarqué comment tout cela s’était passé, alors que quand il vit qu’ils avaient été trop loin, il était
trop tard... A cet instant il regrettait, regrettait de tout son coeur ce qui s’était passé entre Alia et lui. D’autant plus que tout cela n’était pas nécessaire, indispensable. Il revit les fils argentés dans les cheveux d’Alia en même temps que la jeune fille qu’il ne connaissait encore pas, la jeune fille insouciante, assise au bord de l’eau, battant des pieds à la manière des enfants. Quel bonheur palpitant traduisait alors cette bouche toujours souriante! Il en avait le coeur crispé aujourd’hui.