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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    gnonnc grimace Quant à moi, tu sais, j’ai com­plètement perdu la tête!..
    Il ne s’arrêtait pas de l’embrasser. Et aujourd’ hui, il revoyait toutes ces scènes et sentait un sentiment agréable l’envahir. Il répéta, en sou­riant: «Elle a perdu la tête!»
    L’homme était encore jeune. Il avait un beau visage, un peu gras pour son âge, ce qui le vieil­lissait. Il portait un complet gris-bleu. Il avait sur le bras droit un léger paletot de gabardine.
    Il attendait sur le bord de la route qui des­cendait vers une rivière qu’on apercevait au loin, derrière un rideau de noisetiers. Là, où la route se perdait dans les buissons, on voyait à peine un pont tout neuf, qui de loin semblait fraîchement peint. Pendant un certain temps, la route longeait un pré, venait buter contre un champ et disparaissait derrière les maisons du village. Un peu sur le côté, non loin du village, il y avait une petite gare à moitié vide, bien con­nue des vacanciers qui arrivaient de la ville.
    Le jour était gai, ensoleillé. Mais le soleil n’arrivait plus à réchauffer la terre, on sentait l’approche de l’automne, un souffle frais an­nonçait qu’il allait faire froid. Le lointain avait déjà changé de parure et apparaissait morne et solitaire avec ses champs vides, ses arbres à moi­tié dépouillés. Le ciel avait perdu sa douceur, il semblait froid et hostile. En le regardant on avait la tentation de relever son col ou de se couvrir les épaules.
    L’homme avait mis un paletot. Il regardait en direction de la gare et attendait avec impa­tience,. faisant les cent pas, se demandant ce qui avait pu retenir Alia. Son père lui aurait peut être défendu de sortir. D’après ce que lui avait raconté Alia, il était sévère, un peu despote. On ne pouvait pas dire qu’il s’intéressait à la vie
    que menait sa fille, mais pour tout ce qui lui arrivait de savoir d’elle, il le jugeait avec pas trop do bienveillance. Le jeune homme se souvint qu’une fois Alia lui avait dit que si leur bon­heur, un jour, aurait un obstache, cet obstacle ne serait que son père. Puis, elle s’était empressée d’ajouter: «Mais tu sais, même lui n’arrivera à me séparer de toi!»
    Alia n’aimait pas se compliquer la vie et sa­vait chasser les idées noires qui venaient la troubler.
    Voilà peut-être pourquoi on se sentait toujours rassuré et tranquille en sa présence...
    Un souvenir lui revint à l’esprit. Il avait ren­contré un jour Alia et son père. Ils marchaient côte à côte, elle lui racontait quelque chose, en riant. Le colonel l’écoutait, attentif, sérieux, un peu sévère même. Elle lui fit un signe de tête, passa, heureuse, insouciante, légère. Léanid de­vint sombre après la rencontre, parce qu’une troisième personne venait d’entrer, se mêler, à leur vie. Jusqu’à maintenant ils n’avaient été que deux, aujourd’hui, ils étaient trois, et cette troisième personne n’était pas un curieux quel­conque, mais son père à elle.
    Léanid, embarrassé, s’était retourné et les avait suivis des yeux. Pendant toute la journée il avait été obsédé par l’idée qu’un malheur devait ar­river.
    Il lui était arrivé de rencontrer le colonel encore plusieurs fois. Et chaque fois Léanid avait la sensation que le colonel allait s’arrêter et enta­mer la conversation, cette même conversation qui avait pu avoir lieu il y a longtemps, mais qui, par bonheur, jusqu’aujourd’hui, avait été évitée. Il s’y attendait, à cette conversation, et était inquiet. Il en avait peur, car il ne savait que dire: comme un inculpé devant la justice...
    Il eut d’autres souvenirs. Alia Les avait ren­contrés, lui et sa femme, dans le magasin univer­sel. Tous les deux étaient au rayon «Tout pour enfant», au premier étage et choisissaient un cos­tume de laine pour leur petit. Léanid était tour­né vers sa femme Tania et lui montrait un cos­tume qui lui avait plu. Pas de doute, il avait vu Alia. Elle était au rayon d’à côté, à la parfume­rie, et, comme lui aussi, avait été surprise par cette rencontre inattendue. Elle vit également la femme à qui il souriait si gentiment. Offen­sée, elle se détourna sans dire un mot, sans même saluer...
    Tania n’avait pas compris pourquoi son mari avait subitement changé d’humeur, était deve­nu nerveux et pas aimable du tout. D’ailleurs, elle le comprenait de moins en moins à partir du jour où cette jeune fille était entrée dans la vie de son mari.
    Bientôt tout commença à s’embrouiller. A la maison, ce n’était que disputes, soupçons, ac­cusations qu’il fallait supporter ou dissiper. Après chaque scène i l n’ét ait pas facile de penser à celle qu’il ne voyait qu’en cachette...
    Arrivé à ces réflexions, Léanid essaya de chasser ces idées noires qui continuaient à le tourmen­ter. Il se disait alors, mécontent: «Mais qu’est-ce que j’ai aujourd’hui avec ces pensées qui me ron­gent! Un coup de tête encore...» Il venait de remarquer qu’il ne restait plus en place, mais s’agitait, allait de long en large.
    Il faisait beau aujourd’hui, à la lisière de la forêt, près de la rivière. Une journée que la nature avait faite exprès pour eux, Alia et lui, comme pour les rendre une dernière fois heureux avant l’arrivée des jours monotones et pluvieux de l’automne. Léanid aperçut sur la route menant à la gare une voiture bleue. Il regarda sans la
    quitter des yeux, espérant voir descendre la femme qu’il attendait.
    La voiture suivit la route jusqu’à la rivière, soulevant un nuage de poussière, arriva jusqu’au pont, tourna et roula en direction du bois. Des gens qui étaient sans doute venus chercher des champignons...
    Quelle journée, rien à dire!..
    Léanid, les mains croisées sur le ventre, une habitude qu’il avait prise quand il prenait la parole pendant les réunions, regarda un moment l’endroit de la forêt où avait disparu la voiture. Les arbres avaient encore conservé leurs habits dorés par l’automne, la forêt semblait illuminée. Il y avait peu de branches dépouillées de leurs feuilles, à part quelques cimes. Alors que dans les champs, les rares arbres qu’on pouvait ren­contrer avaient déjà perdu toutes leurs feuilles, détachées et chassées par le vent...
    Derrière le bois, près des sapins devenus rares en cet endroit, se trouvait la maison de campagne du colonel, du père d’Alia. Léanid connaissait très bien la route poussiéreuse où avait disparu la voiture, ainsi que le bois où plus l’une fois il avait fait ses adieux à Alia. Cette pensée fit battre son coeur, il revit le jour de leur première rencontre, leur première journée, passée ensemble. Elle était alors sévère, inabordable, elle lui avait écarté les mains lorsqu’il avait voulu l’em­brasser, tournait la tête pour se dérober à ses baisers; ses beaux yeux, doux, bridés, étaient pleins de reproches. Elle avait promis que, s’il recom­mençait, elle ne viendrait plus jamais à ces ren­dez-vous! Et Léanid avait compris qu’elle tien­drait sa parole, que c’était sérieux. On sentait qu’elle le voyait contre son gré, une lutte inté­rieure la tourmentait. Plus exactement, à force de le repousser, elle avait fini par céder, puis-
    qu’elle ne pouvait rien faire contre. Lui, de son côté, était vexé, offensé par son indifférence. Elle avait à cette époque un ami qui l’adorait, qui était fou d’amour. Un beau garçon, grand, avec de beaux yeux purs, un étudiant de l’Université qu’elle avait connu encore à l’école. Lorsque Léanid les aperçut ensemble pour la première fois il avait alors pensé qu’ils faisaient un beaucouple.
    Et il avait voulu alors, c’était un peu amul sant, comme jamais, être beau, beau à un tepoint qu’elle le voie, qu’il ne puisse être com­paré à personne, qu’il puisse être mangé des yeux comme elle l’était par ce jeune étudiant.
    L’image que garda Léanid de la jeune fille, lorsqu’il la vit pour la première fois, se grava pro­fondément dans son esprit. Elle était assise au bord de la rivière, au soleil, en maillot de bain bleu à bordure blanche, battant l’eau des pieds, en souriant à la manière des enfants. On lisait sur son visage l’insouciance, son sourire était si naturel qu’il la rendait charmante et attirante. Léanid parlait avec des amis et, quand il tour­nait la tête pour leur répondre, il conservait la charmante vision: L’image de la mignonne créa­ture sans-souci qui se chauffait au soleil, en sou­riant on ne sait à qui et à quoi.
    Les cheveux bruns, encore humides de la bai­gnade, lissés en arrière, reflét aient les rayons du soleil. Le garçon qui était avec elle, son ami, s’approcha doucement par derrière, la saisit par les bras et la poussa dans l’eau. Le sourire dis­parut, la jeune fille poussa un cri au contact de l’eau froide. Un instant après, on l’entendit rire d’un rire heureux de jeunesse, un rire qui pé­nétra le coeur de Léanid dans ses moindres recoins.
    Ce même jour, Léanid fit sa connaissance. Il abandonna ses amis qui le menacèrent de partir
    sans lui dans leur voilure, la voiture qui l’avait amené. Les menaces le laissèrent indifférent. 11 préféra demeurer avec la jeune fille, l’admirer, écouter sa douce voix, gagner la sollicitation d’un rendez-vous. Il est vrai qu’il ne faisait pas que d’écouter, il parlait aussi, parlait avec verve, parlait bien, comme jamais. Léanid savait la valeur de l’éloquence, il s’en était rendu compte pendant les réunions. Et aujourd’hui surtout il parlait avec une abondante facilité, inspiré par la présence de la jeune fille. Elle l’écoutait, attentive, sérieuse, riait comme un enfant... Son ami qu’elle appelait Vovatclika, s’approcha, une branche à la main, se mit à rire avec eux, ne pou­vant supposer que ce rire allait lui coûter bien cher.
    Trois jours après Léanid eut la chance d’être seul avec la jeune fille. Ils nagèrent ensemble, se promenèrent dans la forêt, enivrés par la chaleur, la gaieté, les senteurs agréables des sapins. Alia riait sans cesse et semblait si proche, si accessible que Léanid ne put se retenir de la serrer dans ses bras. Quel regard courroucé elle lui adressa, un regard qui signifiait: «N’allez pas recommencer! Sinon...» Mignonne créature! Léanid Andréévitch sourit machinalement, se rappelant le regard de la jeune fille. Elle ne savait pas encore que plus elle serait sérieuse et sévère, plus elle se­rait désirée.