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    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Assis sur le siège du mécanicien, Andréi se penche en dehors de la cabine et respire à pleins poumons l’odeur de l’absinthe et du cambouis. Secoué au tact du tremblement du vaste corps de la locomtive, Andréi ne manque pas de dire:
    — Eh, vieux! On vole! On fonce! Essaye de nous rattraper...
    Kouzma Tchorny ooo
    UNE HALTE
    AU HAMEAU DE SINIÉGUI
    On fait peu de haltes pendant les longues mar­ches. Nous dormions pou, une heure ou deux par à-coups.
    Dans le hameau appelé Siniégui nous trouvons des traces laissées par des unités militaires qui étaient passées par ici: des enfants jouent avec du cable téléphonique, des cartouches trainent sur de la paille froissée auprès de l’étable d’une mai­son à l’extrémité du hameau. Nous en essayons quelques unes, elles ne vont pas et nous les lais­sons traîner là où elles étaient.
    Siniégui est un hameau de huit chaumières ouver­tes à tous les vents, aux toits de paille, mal pei­gnés.
    H fallait se coucher tout de suite.
    Dans la maison règne une inquiétude muette, on sent une atmosphère de paix troublée par la guerre; quatre enfants et une femme, mère et maî­tresse de maison, une femme, belle comme celles de la ville.
    Nous nous disposons dans l’entrée froide, sur des espèces de caisse basses. Nous sommes deux, mon chef de secteur et moi. Lui, le camarade Skabakov, est un gars toujours gai, roux, de quelque
    part des bords du lac poissonneux d’Alanetski. Nous remuons un peu la paille, froissée par ceux qui avaient passé la nuit ici avant nous. Nous dis­posons sous nos têtes, en guise d’oreiller toute no­tre propriété de soldat. Un lourd sommeil nous fer­me immédiatement les yeux.
    La porte donnant sur la chambre bien chauffée est ouverte. Longtemps, les enfants se disputent un oreiller brodé, puis c’est le silence complet.
    Ayant l’habitude des levers en sursaut, je lève machinalement la tête et j’essaye de chasser le sommeil toujours profond le matin. Un jour nou­veau filtre à peine dans l’entrée, par une petite lucarne qui laisse passer la lumière du matin faible encore.
    «Encore cinq minutes et je vais réveillerSkabakov». Je lutte difficilement contre le sommeil. Je glisse mes mains sous la nuque, je presse près des oreilles, ça semble sonner et j’ai mal dans la tête.
    Dans la maison, j’entends parler:
    — Lève-toi, fiston, dit la femme.
    Pas de réponse.
    — Fiston, lève-toi!
    — Oh, maman...
    — Lève-toi vite, fiston. Rien à faire, tu es le plus grand.
    Laisse-moi dormir encore un peu, ma...
    — Tu dormiras dans la journée, maintenant... tu es le seuI...
    Le petit se met à pleurer. On l’entend pleurer longtemps, d’une voix mêlée de sommeil. Il pleu­re et dort en même temps. Puis il se tait. La femme se tait aussi.
    Je me lève et je réveille Skabakov.
    J’entre dans la maison.
    La femme est en train de déchirer une vieille chemise, usée jusqu’aux trous.
    — Bonjour, lui dis-je.
    — Bonjour, me répond-elle.
    — Merci pour le logis... On s’en va.
    — Partez.
    Je ne trouvais rien à dire de plus, mais j’ajoute:
    Que le petit dorme encore un peu.
    Je me sens mal à l’aise, comme si j’avais fait quelque chose de mal.
    Je suis seule... Qu’est-ce que vous voulez que je fasse, dit-elle tout à coup, vile, en haussant la voix. Qu’est-cc que je peux faire? Seule, je ne peux rien. Mon homme n’est pas là, il fait la guerre. Aujourd’hui, je dois commencer à fau­cher l’avoine, après, il faut que je trouve un che­val, il faut rentrer au moins une charrette de blé. J’arriverai bien à le battre, même avec un bat­toir. Le soir j’en ferai de la farine, dans la meule, si le grain arrive à sécher dans la journée. Alors demain nous aurons du pain...
    — Et vous n’avez pas de cheval?
    — Le cheval, les Polonais l’ont réquisitionné, hier, avec mon garçon, pour un convoi.
    — Quel garçon?
    — Mon fils.
    — Il est grand?
    — Petit... Si au moins il avait été grand,je ne me ferais pas tant de peine... Aujourd’hui, je n’arrive pas à réveiller l’autre pour aller garder la va­che... Et puis je n’ai rien à lui donner à manger ce matin. J’avais un peu de pommes de terre hier soir, elles sont encore petites, je les ai don­nées aux soldats. Ils sont passés là, pieds nus, affamés, en guenilles... Ça m’a fait mal au coeur... Mon homme, comme eux, quelque part, mal­heureux...
    Elle s’approche du lit.
    — Lève-toi, fiston. J’ai déchiré ma vieille chemise pour enrouler ton pied, ça te fera moins mal. Tu mettras les laptis1 de Mikolka, ils sont un peu plus grands, ton pied y sera plus à T ai­se... Lève-toi, petit.
    Elle se penche sur le lit.
    — Tu sais, ça doit percer tout de suite...
    — Quoi? dis-je étonné.
    — L’apcès. La semaine dernière il a marché sur une souche. Son pied a enflé depuis.
    Je me penche sur le lit. Le petit dort. Au pied gauche, sur le côté, on voit une enflure bleu­âtre, salie par la boue.
    Je sors de la chambre. Je fouille dans mon sac. Je n’y trouve rien, à part deux gardons secs. Je les prends et je les pose sur un banc dans la chambre, tout notre ravitaillement de soldat.
    Et alors, le camarade Skabakov et moi, nous quittons la chaumière. Dans un quart d’heure, nous allons quitter ce petit hameau appelé Siniégui.
    Nous attendons l’ordre de continuer la marche Je revois le petit. Il passe clopin-clopant pous­sant sa vache, posant doucement le pied malade. La mère est sur le pas de la porte de la chaumière, une femme belle, comme les femmes de la ville.
    Nous voilà en marche.
    Nous allons marcher longtemps. On fait peu de haltes pendant les longues marches.
    1934
    1 Laptisespèces d’espadrilles tressées de lanières d’êcorse de tilleul. (N . d. T.)
    Kandrat Krapiva ooo
    MON PRINCIPE
    Chers camarades, vous avez sujet de m’accu­ser de manquer à mes principes, surtout lors­qu’il est question de critique. Vous en parlez tellement que cela commence à m’ennuyer. Pour en finir une fois pour toute, je vous annonce de toute mon autorité que je ne suis pas un homme sans principes. Vos accusations sont mal fon­dées. Par principes, par exemple, je ne critiquerai jamais mes amis. Je peux pas me figurer comment peut-on au cours d’une réunion parler de son ami, d’étaler devant tout le monde ce que tu sais de lui? Mais c’est peut-être un fainéant, un bureaucrate ou bien par mégarde il a été puiser de l’argent dans la poche de l’Etat. Alors, est-il obligatoire de jaser de tout cela devant l’uni­vers entier? Et de l’amitié, qu’est-ce que vous en faites? Nous nous retrouvons tous les soirs, à table, à boire tranquillement le thé. Mais je ne pourrai pas après cela lui regarder franche­ment dans les yeux. Vous savez, l’amitié pour moi, c’est sacré. Faire des cochonneries à un ami, jamais! Et je vous prierai, camarades, de ne pas m’exciter.
    Bon. Voyons, nos supérieurs... Aurai-je le courage de les?... Mon Dieu, non! Un surépieur est toujours supérieur. D’ailleurs, on recomman­de toujours aux enfants de ne pas dire du mal d’un plus grand que soi. Et moi, je ne suis plus un enfant. Je comprends très bien que, par exem­ple, le chef de notre établissement, Ivan Pétrovitch, est mon supérieur. Moi, je ne suis que son adjoint. Alors croiriez-vous qu’il serait convenable de le contrarier? Et s’il a quelque chose sur la conscience, ce n’est pas mon affaire. Lui aussi, il a ses supérieurs, c’est à eux d’y voir clair, moi, je n’ai pas à me mêler de ses affaires. Voilà mon deuxième principe, aussi ferme que le premier. Et je vous prierai de ne pas me dérouter. Je n’ai jamais rien dit et je ne dirai jamais rien qui puisse contrarier mes supérieurs... Je vous demande pardon, je ne suis pas si mal élevé que ça. Dans l’ensemble, je suis un homme de raison, bien équilibré et j’estime qu’il ne faut jamais avoir de conflits avec autrui. Si tu n'as rien à voir dans les affaires des autres, les autres n’auront jamais rien à voir dans les tien­nes. C’est une règle qui vaut son pesant d’or et que je suis, et jamais je ne l’ai regretté. Mon grandpère me disait: «Ne te chicane avec personne. Souviens-toi que pour donner un coup de bélier, il faut le donner avec son front.» Il est vrai qu’autrefois j’étais jeune et bête, et plus d’une fois je suis rentré avec des gnons. Alors, aujourd’hui, les conseils de mon grand-père me sont utiles. Mais si c’est quelqu’un qui vient chercher noise, alors, a-tten-tion! Là, il ne faut pas me marcher sur les pieds. Je suis capable de l’écorcher vif pour le mettre à nu devant tout le monde, de le retour­ner comme une chaussette. Et puis, pas que lui, mais toute la famille avec, je ferai mille dé­marches auprès de mes chefs et j’arriverai à prou­
    ver que c’est une canaille. Et là, chacun pourra se rendre compte que je ne suis pas contre la critique.
    Tenez, encore quelques mots à propos de l’au­tocritique, vous m’en parlez bien souvent. Je vous dirai que ça n’est pas du tout fait pour moi. Est-ce que vous auriez vu que quelqu’un dise du mal de soi? Je vous ai déjà dit que jamais je ne dirai du mal de mon ami! Alors, dites-moi qui est mon meilleur ami? Bien sûr, il est en ma personne.
    Vous aviez voulu savoir qui j’étais. Voilà! Et je dois vous dire que je ne suis pas le seul. Il y en a encore beaucoup qui suivent ces prin­cipes. C’est pourquoi, nous, les vieux, comme on nous appelle, on se défend, on a pas à se plaindre. Il est vrai que parfois on nous appelle encore au­trement. Mais moi, je m’en fiche. Ça ne me touche pas. J’étais Mikita Samassey1, je le suis resté.
    1916
    1 Mikita Sèmetoutseul. (N d. T.)
    Уanka Skrygane ooo
    LA CÉCITÉ
    Dans un sanatorium, au bord de la mer, non loin du Caucase, pendant les repas, je me retrou­vais toujours à la même table en compagnie d’une femme blonde qu’on appelait Véra. Je sa­vais que c’était une pianiste de talent qui fais­ait une cure de repos après des tournées trop longues. J’avais un profond respect pour cette femme.
    Elle entrait dans le salle toujours un peu après les autres. Saluait d’un léger signe de tête et s’assayaitàsa place habituelle. Elle était d’aspect sé­vère et modeste à la fois, parlait peu, mais avec bon sens, c’était un plaisir de l’écouter. Elle laissait toujours après soi le désir de la revoir. Elle possédait un certain charme féminin dif­ficile à expliquer, un charme qui ne saute pas au yeux, mais que l’on découvre en même temps que la femme. Il y a par le monde des personnes que l’on rencontre qu’une seule fois mais qui vous laisse dans le coeur un souvenir ineffaçable.