Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Et ainsi, petit à petit, la mère lisait à sa petite le vaste livre de la vie, ce livre que l’on lit sans en arriver à la fin.
Youlka n’était pas malheureuse. Sa mère n’avait de préoccupations que sa petite. La bonne «Ma» était prête à se sacrifier pour son enfant, et en retour, Youlka sera un jour une maman aussi bonne que la sienne.
Tout ce qui entourait Youlka, tous les objets et les êtres, les enfants, le chat, le chien, la table, l’oreiller, le berceau étaient ses «pépées». Ces choses lui causaient beaucoup d’ennuis, surtout quand elle essayait de les «miam-miam». C’est ainsi que se révélait l’intérêt qu’elle portait à la vie et la manière dont elle en tirait profit.
Bref, pour grandir il faut manger, manger, manger beaucoup.
Lorsque Youlka était de bonne humeur, scs petites lèvres-fleurettes souriaient; si quelque chose n’allait pas, elle fondait en larmes, et elle en versait de grosses. Elle pleurait longtemps, y mettait toute son ardeur et sa bonne volonté, trépignait et battait des mains.
Et chaque fois, la tragédie finissait de la même manière: «Ma» calmait sa petite lui donnant la tétée. «Ma» était la «pépée» la plus appétissante au monde, et Youlka s’y connaissait, elle avait bon goût.
Il est impossible à tout être vivant de rester longtemps en place, aussi, Youlka plus d’une fois quittait son nid pour entrer dans le vaste univers qui l’entourait. Elle sortait dans la cour. Chaque fois elle fermait les yeux, tremblait d’émotion, battait l’air des bras comme pour saisir tout ce qui l’entourait: les maisons, les arbres, le soleil, tout ce qui était impossible à embrasser. Elle tendait souvent ses petites mains dans le ciel voulant décrocher le disque brillant du soleil. La mère avait alors du mal à calmer le petit coeur agité d’envies folles. Et les larmes coulaient à flots. Un gage mettait fin à ces scènes. Mais le gage devait être de valeur: une sucette faite de sucre, une bille en verre, un morceau de papier brillant, un anneau. En général, les trésors les plus chers se trouvaient aux pieds de la petite Youlka. Ces jouets faisaient «dzin-
dzin-dzin» ou bien «tam-ta-ra-ram». Us aidaient la maman à sécher les larmes de sa petite fille.
Youlka dépendait entièrement de sa maman. La petite s’en rendait compte lorsque sa mère la laissait seule, couchée ou assise sur un oreiller dans un panier, à la lisière d’un champ, pendant la moisson.
Le calme du bel après-midi régnait partout. Les mouches faisaient des «z-z-z-z-z» au-dessus de la tête de Youlka, de temps en temps, un papillon venait carresser ses joues de ses ailes fragiles, un oiseau tournait autour du panier, l’herbe la chatouillait... Et Youlka tendait ses petites mains à droite et à gauche, prête à saisir tout, tout ce qu’elle voulait «miam-miam». Près du panier, se trouvait son garde et son ami à la fois, le chat, le bon chat do la maison. Sa présence calmait un peu la petite fille, surtout lorsqu’elle pensait à sa maman et s’apercevait que celle—ci n’était pas auprès d’elle. Quelquefois, le chat disparaissait, il s’en allait à la chasse. Alors Youlka restait seule... Elle fixait le soleil et était obligée de cligner des yeux. Cela lui rappelait que, lorsque «Ma» lui montrait le feu dans le four, elle ne cessait de répéter «bobo». Youlka voulut aussi dire «bobo», elle fit un effort, se pencha sur le côté et vlan! La voilà dans la lisière.
Il fallut voir ce qu’il y eut après...
Il sembla à la petite qu’elle tombait dans un abîme, elle faillit s’évanouir. Et pour la première fois de sa vie, au comble de la frayeur et du désespoir, elle cria «ma-ma»!
La mère accourut et vit sa petite dans la poussière, rouge, presque violette, étouffée par les sanglots.
Ce fut sa première tentai ive de vivre seule, sans soutien, sans assistance, sans secours.
Youlka disait déjà «pa-pa», «ma-ma», «mi-mi», «tou-tou», «pé-pé»; le cercle de ses connaissances s’élargissait de jour en jour. Ses menottes maintenant ne saisissaient plus la première chose venue. Pour rien au monde elle ne prendrait un morceau de charbon, alors qu’un morceau de pain avec du sucre, pourquoi pas? Eh oui, elle savait déjà distinguer le bon du mauvais...
Nous voici arrivés aux habitudes. Les mauvaises habitudes perdent l’homme. Youlka avait l’habitude du lait de sa maman, le sevrage lui coûta beaucoup de larmes. Plus d’une nuit elle dormit mal, car chaque fois qu’elle s’apprêtait à téter, aussitôt, elle rejetait le sein que «Ma» avait eu soin d’enduire de poivre. Et Youlka, jusqu’à vingt ans, sucera son doigt dans son sommeil; jusqu’à ses derniers jours criera «maman» voyant arriver le danger.
Dans la vie, il n’y a rien d’éternel, tout change. Et si Youlka avait voulu s’en rendre compte, sa vie lui en aurait fourni la preuve; elle parcourait la chambre à quatre pattes, s’aidant des mains et des pieds, maintenant, elle pouvait suivre les poules, le chat. Elle remuait, furetait dans tous les coins, cherchant une occupation. Et de l’ouvrage, elle en avait: ici, elle retournait un pot de lait et essayait de réparer les dégâts avec sa chemise, là, elle frappait le plancher avec une cuillère, faisant du tambour. Rien à dire, ce n’est pas le travail qui manquait, et du travail pris au sérieux. Dix paires de mains ne lui auraient pas suffi à faire toute la besogne.
L’homme ne peut vivre sans occupation, sans travail comme disent les philosophes. Cela est vrai; il n’y avait qu’à le demander à la petite Youlka qui comprenait déjà pas mal de choses. Il suffisait à sa maman de lui dire:
— Youlka, fais des gâteaux!
La petite joignait les deux mains, ce qui signifiait qu’elle faisait des gâteaux.
Youlka, dis... Gomment fait la vache?
— M-m-m-y-y-y, répondait la petite.
— Et le mouton?
— M-m-m-é-é-é-é.
— Que fait papa en colère?
Alors Youlka serrait les poings, roulait des yeux et lançait un «hé» en y mettant toute son ardeur.
Après quoi, elle regardait tout le monde à la ronde. Le monde serait bien triste sans plaisanteries. Sa maman la prenait dans ses bras et l’embrassait pour la récompenser. Puis, elle faisait semblant de se mettre en colère: «Nez sale, va!» Disant cela, «Ma» prenait le coin de son tablier et mouchait le nez de sa petite. Youlka tournait furieusement la tête et versait des larmes.
La bête noire de la petite Youlka était son nez. Il lui en valut des minutes amères, son nez. Vous parlez d’une affaire, un nez! Gela peut faire sourire, mais c’était là le tragique, mais que faire, on sait d’ailleurs que parfois «même un chétif insecte peut triompher d’un lion.»
La maison était au comble de la joie. Le père rentrait, il était allé à la foire du pays, il vit Youlka sur la table. La grand-mère et la maman apprenaient la petite à marcher. Elle était donc sur la table, les bras écartés pour garder son équilibre, les yeux égarés, à la joie de la grand-mère. Youlka aurait bien voulu la voir, elle, sur un fil de fer, tendu entre deux poteaux, elle en aurait du plaisir à lui dire: danse, ma bonne. Elle en était sûre, cela ne la ferait pas rire du tcut.
— Ma-ma! criait Youlka effrayée.
— Allons, marche! Viens donc! disait la maman, tendant les bras à l’autre bout de la table.
Youlka semblait avoir des poids de cent kilos attachés aux pieds. Le courage lui manquait. 11 est bien difficile de faire son premier pas dant la vie! Il faut beaucoup de courage, même pour une grande personne.
Trois paires d’yeux suivaient la petite, trois paires d’yeux attentifs, qui firent naître du courage dans le petit corps de l’enfant. Youlka fit un effort et...
— Un, deux! firent trois voix, trois voix qui comptèrent en même temps les premiers pas de la petite.
Boum! Youlka s’étala de tout son long sur la table, des yeux cherchant du secours.
Trois paires de bras, des bras solides, n’avaient pu à temps venir en aide à la petite en ces minutes difficiles. Mais ce fut quand même ces deux pas, ces deux premiers pas qui transportèrent de joie la grand-mère et la maman.
— Quel amusement! dit le père d’un ton de reproche. Essayez voir de compter combien j’ai fait de pas aujourd’hui pour aller à la foire et en revenir. Aller et retour, près de quarante verstes. Qu’est-ce que vous en dites?..
L’homme est obstiné de nature. Trois jours après, Youlka marchait sur le plancher, comme un fantassin. Une semaine plus tard, la petite tournait autour desamère que cette dernière en avait assez de ce jeu. Youlka venait à chaque instant butter contre ses jambes. Sa mère la chassait comme elle aurait fait avec un chat. C’était un plaisir pour la petite fille qui revenait vers sa maman en faisant «miaou! miaou!»
Youlka grandit encore un peu.
A trois ans, on a déjà besoin de robes d’indienne. On la voyait tourner, voltiger dans le jardin au milieu des pavots rouges, comme un papillon.
Elle prenait plaisir à faire ce qui était défendu, au grand désespoir de sa mère. Il suffisait de lui dire de faire attention, de ne pas se salir, que Youlka rentrait pleine de boue,de la tête aux pieds, de ne pas toucher aux pavots, qu’elle en cueillait plein les mains. Sa mère lui disait:
— Youlka, au lit!
— Je ne veux pas!
— Au lit!
— Non!
— Alors, reste!
Au lit!
— Youlka, va te promener!
— Je ne veux pas!
— Hestc, si tu veux!
— Je veux me promener!
Il est vrai, qu’elle n’avait pas tout le temps l’esprit de contradiction. Elle pouvait bien être douce, bonne et gentille, surtout lorsque la grandmère lui racontait des histoires. Alors, elle riait de bon coeur quand on tuait le méchant loup ou l’ogresse. Elle versait des larmes quand le loup mangeait le petit chaperon rouge.
Chaque fois qu’elle écoutait des contes, ses petits yeux bleus brillaient comme deux minuscules étoiles, comme deux petites fleurs dans la rosée du matin.
La nuit, elle faisait des rêves fantastiques.
Appréciait-elle son bonheur? Oui, peut-être. Mais elle était bien malheureuse lorsqu’on ne cédait pas à ses caprices.
Youlka voulait être grande et sage, comme sa grand-mère. Alors, elle aprenait à compter: