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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Le soir, marchant côte à côte, sur le chemin qui avait encore gardé la chaleur de la journée,menant à leur maison de campagne, pour la première fois il l’embrassa sur la bouche. Elle s’arracha de ses bras, et, de colère, faillit éclater en sanglots: «Mais qui vous a autorisé! Comment avez-vous pu?.. Vous vous croyez tout permis!» Léanid n’essaya pas de répliquer. 11 expliqua tout simp­lement qu’il était malheureux, que c’était sans doute son destin d’être mal aimé, détesté même, que
    s’il avait gâché, cette belle journée, il demandait pardon. Les paroles de Léanid étaient empreintes de douleur et lui-même semblait bien malheureux.
    Il allait l’accompagner jusqu’à sa maison et puis, peut être, ne la reverrait plus jamais. «Vous savez bien que ce n’est pas vrai...» dit-elle tout bas, lorsque Léanid, froid lui serra la main avant de la quitter. Léanid connaissait bien la valeur de ces paroles, mais il fit semblant de ne pas com­prendre. «Ne me dites pas que vous ne comprenez pas. Vous avez très bien saisi... Sinon, alors, vous vous en doutez...» ajouta-t-elle, aussi bas que la première fois.
    Elle pria Léanid de venir la voir le lendemain.
    Léanid eut du mal à cacher la vague de bon­heur qui l’envahissait, confus et soumis, il re­mercia la jeune fille. Aujourd’hui tout cela parais­sait merveilleux, alors que l’autre soir il avait senti l’autorité de sa nouvelle amie. Il est vrai, qu’à l’intérieur de son coeur, cette docilité n’était que passagère. Cette soumission apparente, il aimait la souligner pour gagner la bonne grâce de la jeune fille. Il accepta donc son invitation en signe d’amitié. Suivant la route qui menait à la ville, par ce soir d’été, Léanid, le coeur rempli de bons pressentiments, était heureux...
    Alia l’aima. Elle l’aima du meilleur de son âme, sans réserve. Son amour était si fort que Léanid en fut charmé et inquiet à la fois. 11 n’avait jamais été aimé ainsi. 11 connut tout de tem­pérament, tout le feu d’une jeunesse qui ne s’était pas encore dépensée. Léanid était le premier amour de la jeune fille.
    Alia ne parlait que de lui, il occupait toutes ses pensées, elle ne vivait que pour lui.
    Comment expliquer son amour? Qu’avait-elle trouvé en lui? Elle avait découvert en lui quel­que chose de remarquable, d’inexplicable. Pour
    Alia, Léanid était extraordinaire, exceptionnel, elle était captivée par son intelligence, son savoir. «Vous connaissez tant de choses! Vous êtes un génie! Oui, oui, un génie, je le sens!.. Après vous, les autres sont si petits!..»
    Léanid devint non seulement le plus intelli­gent, mais aussi le plus beau...
    Mais après leur rencontre imprévue dans le maga­sin universel sa passion prit un autre aspect. Elle sembla se réveiller, le rêve merveilleux s’était dissipé, un pli soucieux s’était creusé entre les sourcils à force de réflexions. Mais cela ne fit que renforcer son amour, elle y pensa sérieuse­ment.
    Alia n’était pas encline à la tristesse, elle n’éait pas mélancolique...
    Léanid, qui continuait à marcher le long du bois, fut tiré de ses réflexions par une jeune fille qui descendait le talus. La jeune fille était encore loin, mais il la reconnut tout de même: c’était sa chère Alia, il la reconnut, à sa silhouette svelte, sa démarche légère.
    Enfin, elle était là! Mais pourquoi était-elle arrivée en retard, me fit attendre si longtemps? Machinalement, Léanid jeta un coup d’oeil à sa montre. Il fit ce geste, comme il le faisait beaucoup de fois dans la journée. Il est vrai, en d’autres circonstances, pour ne pas arriver en retard à son poste ou à son chantier, pour effectuer le contrôle d’une opération. Léanid étonnait tout le monde par sa ponctualité.
    Presque cinquante-cinq minutes de retard! Ce n’était pas là une chose à pardonner, non! Même si son prétexte était plausible. S’il fallait faire attention à tous les prétextes, jamais nous ne serions à l’heure. Il ne lui était pas facile, à lui, de quitter la ville et il n’était jamais arrivé en retard.
    Il la suivit du regard. La jeune fille marchait lentement, sans se presser. Ce n’était pas la mê­me marche, la même course qu’il avait l’habitu­de de voir. Lorsqu’elle arrivait à un rendez-vous, elle volait à sa rencontre, comme soulevée par le vent. Il éprouva une ombre de jalousie. Sa pas­sion s’était peut-être éteinte, ce rendez-vous était une contrainte?
    Il se souvint alors que lorsqu’il lui avait téléphoné il y a quelques jours d’un appareil près de la librairie, il avait senti une note pas ordi­naire dans sa voix. Elle lui avait dit qu’elle avait mal à la tête...
    Dans la vie tout possède dos hauts et des bas, un début et une fin. A propos, lui aussi, il avait changé; à vrai dire, son amour, n’était plus le même. La mystérieuse et charmante inconnue était découverte, plus rien ne l’attirait maintenant. Il était des minutes quand des envies subites le prenaient de mettre un terme à leur amour, il on avait assez de cette vie désordonnée. Mais alors, d’autres idées, des idées contradictoires lui ve­naient à l’esprit: il avait trouvé un bonheur que beaucoup d’autres auraient voulu possé­der!..
    11 ne regrettait rien de la destinée qui les avait unis. Tous les ennuis, toutes les peines, réflexion faite, paraissaient bien misérables, comparées à ce que lui avait donné T amont passionné de cette gentille jeune fille. Son coeur avait débordé de ten­dresse tout un été.
    Des vers vinrent à la mémoire de Léanid. Il connaissait beaucoup de vers: il aimait la po­ésie, il la retenait facilement et pouvait réciter en une heure les oeuvres de Yessénine, de Fet, de Nadson, de Chtchipatchev. Des vers tournaient dans sa tête, il en avait oublié le nom de l’auteur. Il les récita tout haut:
    .Te ne sais pas ce qui m’attend, Je ne me souviens plus du passé, Toi, seule, le sais, Toi, seule, t’en souviens.
    Alors, réponds-moi
    Que je puisse pleurer et chanter...
    «Pas mal! se dit-il. Il va falloir les réciter de­vant Alia. Vont-ils plaire?» «Je ne sais pas ce qui m’attend, je ne me souviens plus du passé...» Le passé, «je ne me souviens plus», des menson­ges. Ou bien ce passé ne valait rien, pas même la peine d’en parler. 11 ne l’aurait pas oublié au­trement. Mais dans le fond, c’est pas mal...»
    Léanid marcha à la rencontre d’Alia. Il n’av­ait plus de rancune, au contraire, il voulait pa­raître généreux. Léanid saisit sa casquette de laine mouchetée et l’agita au-dessus de sa tête pour exprimer sa joie et pour saluer en même temps.
    — A-li-a!
    Elle lui répondit d’un geste de la main qui lui parut indécis. «Elle doit s’attendre à une scène», pensa-t-il.
    Elle portait un léger paletot à carreaux, pris à la taille par une ceinture de la même couleur qui soulignait sa fine et svelte silhouette. Ses jambes, brunies par le soleil, étaient longues et fines. Elle avait aux pieds de légères chaussures saupoudrées de poussière.
    Il y avait quelque chose de pas ordinaire dans son allure. Léanid essaya de chasser les idées sau­grenues qui lui passaient par la tête. Alia n’avait pas l’air content de leur rendez-vous, elle ne se pressait pas du tout.
    «Tiens, c’est bizarre...»
    Léanid ne trouva pas dans les yeux bruns de la jeune fille l’éclat de joie et de bonheur qu’il lui connaissait. Alia lui tendit la main avec réserve, comme à un inconnu.
    — Je suis en retard, n’est-ce pas?..
    Léanid tenait sa main, une petite main étroite, aux doigts très fins, froide et indifférente. Alia fui sembla aussi froide que ses mains.
    Des pensées folles défilaient dans sa tête. «Quel froid!.. Qu’est-ce qui se passe, donc?.. Elle ne m’aime plus!.. Adieu l’amour!.. Des ennuis, peut-être?.. Oui, oui, des ennuis!.. Des ennuis avec son père. Une dispute...»
    Il fit mine de n’avoir rien remarqué. Il allait vite chasser la mauvaise humeur de la jeune fille.
    — Tu es en retard! Tu mérites d’être punie... Une punition sévère... Une heure de retard... pensez donc!
    Il avait dit cela à la manière du bon papa qui gronde sa petite fille. C’était d’ailleurs sa maniè­re à elle de parler, une manière qui les avait ren­dus si proches. Aujourd’hui Alia n’avait pas l’intention, ni le désir, de plaisanter, elle ne répondit pas aux menaces frivoles de son ami. Elle fronça seulement ses sourcils noirs pour mon­trer son mécontentement.
    11 fallait changer de ton. Et Léanid prit dou­cement la jeune fille par le bras. Obéissante, mau­ssade, elle marcha à côté de lui. Us suivirent la route par laquelle Léanid était arrivé.
    —• Encore un peut et je partais. Alia, qu’est-ce qui se passe?
    Elle se taisait, hérissée, sur ses gardes.
    — Quelque chose avec ton père?
    — Non, rien...
    Elle prononça ces quelques mots à contrecoeur. Elle fronça de nouveau les sourcils. Léanid continua à la questionner:
    — Ton père t’a défendu de venir?
    — Hier je lui ai dit que je voulais aller à la campagne... Lui aussi devait y aller. Voilà pour­quoi nous sommes là tous les deux. Aujourd’-
    hui un ami est venu le voir, un lievAenant-co lonel de l’état-major. Papa est resté tard à ba­varder...
    — Et moi qui avait pensé que tu ne m’aimais plus! Je commençais à être jaloux...
    — Papa ne voulait pas m’emmener, dit-elle, sans faire attention aux paroles de Léanid. Il m’a dit que j’avais mauvaise mine,...
    — Tu sais, il a raison. Tu as l’air malade...
    — J’ai mal dormi...
    Alia se tut. Léanid comprit qu’il ne fallait rien lui demander. Ils prolongèrent leur chemin on silence. La jeune fille paraissait avoir vieilli. Fatiguée, elle était tout entière en proie à des pensées qui la tourmentaient. Lui, au contraire, plus âgé qu’elle, il avait l’air jeunôt, insouciant, gai même. Il lui soutenait lé­gèrement le coude de la main. Dans l’autre, il tenait sa casquette qu’il balançait au tact de ses pas. Il regardait tantôt la route qu’ils suivaient, tantôt les buissons le long de la rivière, tantôt le bois. De temps en temps il jetait un regard sur son amie. Quant à Alia, elle fixait la route et était indifférente à tout ce qui l’entourait, à la main même qui la soutenait avec douceur.
    — C’est comme si tu cherchais la solution d’un problème difficile. A quoi tu penses? deman­da Léanid.