• Газеты, часопісы і т.д.
  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Oui, des chansons, je n’en ai pas entendu...
    Aujourd’hui, par contre, j’ai entendu jaillir ton rire, un rire éclatant, jeune et sans raison, mais c’était la meilleure expression... Toi, cano­tier de Capri tu sèmes ton rire au-dessus du golfe comme le fait l’alouette sur les champs de mon pays.
    Ecoute, amical
    Lorsque notre bateau a accosté les quais bru­yants de votre petite ville bariolée appelée Marina Granda, comme par hasard, tu nous as re­trouvés tous les quatre dans cette grande four­mi llière touristique. Nous saluant de ton rire à pleines dents, agitant les bras tu as crié: «Si­gner, signor, venez-ici!» Après, presqu’en courant tu nous as conduits à ton canot.
    Le solei 1 se couchait se cachant derrière le mur gris-vert de Capri. Le rivage, éclairé de derrière par les rayons de soleil couchant, apparaissait abrupte et élevé comme une muraille de deux cents mètres de haut. Ton canot bombant sa poitrine au-dessus du la surface calme de l’eau, nous a emmenés, pareil à un oiseau au poitrail blanc, le long de cette muraille pour nous faire voir encore une merveille... Tu riais, beauté classique aux yeux bleus do ce que les autres canots étaient bien loin derrière nous.
    J’avais envie de rire avec toi, pour une autre raison... L’homme n’a pas toujours été tout puis­sant!.. Nous n’arrivons pas toujours à nous com­prendre, à exprimer, même à peu près, de quoi nos coeurs sont remplis! Voilà deux langues, bel­les toutes les deux, alors que nous, dans ce ba­teau moderne, étions comme deux hommes de la préhistoire, à la seule différence, que nous riions, agitions nos mains, froncions les sourcils, fai­sions des grimaces pour nous faire comprendre!..
    Moi, il me semble que je te connais depuis long­temps. Je t’ai rencontré pour la première fois on dirait pas d’aujourd’hui. J’ai entendu ta voix et ton rire dans les pages des livres, sur la toile des écrans... Je te connais aussi du temps où, lorsqu’encore jeune, je me suis lié d’amitié avec les petits personnages de De Amicis, je t’ai ren­contré et plus tard, dans mes rêves, marchant sur ces terres côte à côte avec Spartacus et Garibaldi.
    Tu nous cric:
    — La Grotte d’azur! montrant de la main du côté de la haute muraille, où mille canots grouil­lent déjà dans un golfe minuscule.
    Quand s’arrête le moteur de ton imbattable pur sang et que son blanc poitrail s’affaisse sur l’eau, un brouhaha immense de foire se fait en­tendre. Les guides-bateliers nous attaquent, com­me des clous attirés par l’aimant, de tous les côtés nous attaquent, nous cernent de leur bar­que, nous qui venons d’arriver, nous les premiers descendus du Gloria. Nous sommes enlevés, moi avec mon ami, dans la barque d’un vieux signor en casquette, débrouillard, accrocheur et tenace, qui ressemble drôlement au père Todor, vacher de mon kolkhose.
    Des canots pleins de touristes arrivent les uns après les autres. Le brouhaha s’élargit.
    Notre signor manoeuvrant des rames, comme avec des mains à ralonges, réussit à sortir sa barque de cette foire sur l’eau et nous conduit droit dans le trou creusé dans la muraille à ras de l’eau, un trou noir comme la gueule d’un four. Puis posant ses rames, il saisit à deux mains un gros câble rouillé tendu au-dessus de nos têtes, ce cable disparaît dans le four. Instinctivement nous baissons nos têtes sans attendre le cri du vieux signor qui commande de nous baisser. L’eau au­tour est calme, au milieu, s’engouffrant dans l’étroit tunel, elle s’agite, hurle et crache de la mousse. Arrivé du dehors terrestre dans ce monde souterrain, notre barque freine et arrête sa cour­se sur l’eau impassible de la grotte. Là, nous nous redressons pour mieux voir. Quelle mer­veille! On voudrait lever les bras au ciel pour mieux exprimer son extase. C’est un vaste bras­sage de lumières et de couleurs. Le noir du haut de la grotte se marie à la clarté et au bleu d’azur de l’eau.
    Mais même cette grotte féériquc ne peut nous cacher des lois touristiques et nous sommes obli­gés de nous soumettre aux simples «chacun son tour» et «il est temps». Le vieux signor nous fait faire un dernier tour de la grotte et dirige sa bar­que vers la sortie qui de ce côté ne ressemble plus à un four, tant il y a de lumière.
    — Gorki y est sans doute venu aussi? cric une voix dans un autre canot. Soudain notre signor s’illumine d’un large sourire, lâche une rame, agite la main et crie presque:
    — Massima Gorki, granda!
    Après il laisse tomber l’autre rame et saisit à deux mains le câble tendu au-dessus de nos têtes. Nous aidons le batelier parce que l’eau ne veut pas nous laisser sortir de la grotte. Ar­rivés au soleil, à l’approche de l’heure des adieux,
    nous remettons au signor, au «parent de mon va­cher», toute notre maigre monnaie, pareille aux écailles de poissons sur lesquelles on lirait: «Ré­publique Italienne»; et encore avant de nous quit­ter nous fumons une cigarette de mon pays, tout cela pour les trois mots, pour le plaisir qu’il nous a procuré, sans avoir pensé à la charité...
    Le, signor débrouillard nous crie quelque chose, à nous ou à notre joyeux arnica qui nous attend dans son canot auquel nous venons d’accoster. Dans son cri accompagné d’un large sourire nous reconnaissons les trois mots qu’il avait lancé il y a un instant.
    — Oh, oui! Massima Gorki granda! répète notre arnica aux yeux bleus.
    Nous voilà de nouveau à voler sur la surface lisse do l’eau, laissant derrière nous une traine argentée. Nous passons la haute muraille grise derrière laquelle le soleil s’est couché. Au tour­nant apparaît l’amphithéâtre blanc, rouge, vert du port. Soudain notre canotier tend une main brune de soleil, sortant d’une manche blanche gonflée par le vent, et crie en montrant quelque chose.
    — Massima Gorki! Hôtel!
    Et le voilà de nouveau parti à rire, d’un rire éclairé par le bleu de ses yeux, un bleu emprunté à la Grotte d’azur...
    Ecoute, arnica!
    Tu as bien fait de nous rappeler!..
    L’impossibilité de nous comprendre nous a fait oublier que tu dois connaître une histoire mer­veilleuse de ton Italie, de ton unique au monde Gapri... Tu dois savoir que ce n’est pas une lé­gende, un conte de féés, c’est l’histoire véridique et charmante qui nous dit que l’hôtel aux murs rouges, perché sur le roc a été habité autrefois par l’auteur des récits de la vie...
    Est-ce possible qu’il n’y ait pas que nous, ve­nant du pays des Soviets, ayons pensé à ce nom? Allez, ris, arnica, amuse-toi de ma naïveté, ré­ponds-moi par ton rire pour me dire que c’est vrai!..
    Durant ces trois jours, mes pensées étaient occupées par ceux qui sont venus autrefois et ceux qui de l’Italie nous en parlent aujourdhui...
    Les enfants de la misère napolitaine, noirs, bruyants, comme des corbeaux sur les labours, avec à côté des montagnes dorées d’oranges bri llant comme mille soleils mais pas pour tout, le monde, si bien décrits par Maxime Gorki, me rappellent le doux sourire d’un autre narrateur, Djani Radar, aimé de nos enfants. Lui aussi par­le à la manière de Gorki des richesse voyantes et criardes de son pays. Pour lui, aujourd’hui n’est pas si radieux, fidèle à la foi en la victoire de demain, il sait droit regarder dans l’avenir.
    Le poing tendu en signe d’amitié prolétarienne, le langage des yeux, les sourires partout, sur les routes, dans les rues, partout où nous passions, nous traduisent mieux que mille paroles la foi en demain.
    Mes pensées me rappellent que, comment se fait-il, que sur une terre pareille, pleine de cou­leurs, de merveilles, ait pu s’accrocher la moisis­sure du fascisme?..
    Ecoute, arnica!
    Te regardant, je n'ai pu m’empêcher de penser que des gars comme toi, laborieux et gaillards, auraient pu se trouver non seulement en Abys­sinie, mais aussi sur les vastes étendues de mon pays. Peut-être ton père ou ton frère aîné? Peutêtre le signor débrouillard qui se souvient de Gorki et ressemble au vacher de mon pays? Ceux qui sont rentrés t’ont sans doute parlé des
    rudes hivers du pays de Gorki, de la colère de tes compatriotes...
    J’aurai voulu leur exprimer aujourd’hui ma haine et mon chagrin à la fois. Je voudrais te parler de ceux qui ne reverront jamais le beau ciel d’Italie.
    ...Ils étaient vingt.
    Pendant la guerre, au cours de sa troisième année, après Stalingrad, tes compatriotes se sont retrouvés sur la Terre biélorusse. Au nord de cette terre, verte des champs de pommes de terre et de lin, s’étend un lac d’azur, derrière le lac, une forêt. Les jeunes pins sentent la résine, le blanc sarrasin fleure le miel réchauffé, son aro­mate est jalousement ramassé par les abeilles. Dans le trèfle aussi, on entend le murmure des abeilles. Les jeunes lièvres apeurés, encore chauds de leur nid, se cachent dans les blés.' Le genévrier sème son odeur agréable. Les mouettes volent haut au-dessus des toits des maisons, les cigognes viennent y faire leur nid et vont planer sur les lacs argentés...
    C’est la première fois que je suis loin de chez moi. Je te demande pardon, arnica, si je laisse tomber une larme... c’est une larme de joie, la joie d’avoir au monde un pays comme le mien, ma douce, laborieuse et brave Biélorussie!..
    Je te prie maintenant de retenir ton regard une seconde sur la lame du couteau menaçant ta vieille mère... Je te prie d’arrêter ton regard une seconde sur ton petit encore gazouillant que quel­qu’un écrase lui cognant la tête contre une table...
    Et tu comprendras alors comment un peuple laborieux et paisible peut devenir impitoyable justicier.
    L’histoire les a appelés justiciers du peuple, leur pays porte le nom de pays classique de la guerre partisane.
    L’ennemi sait ce que cela signifie. Les vieux rescapés, anciens généraux d’Hitler, gavés de charogne puante des Kaisers, parlent encore aujourd’hui de Г inexplicable et incompré­hensible «fanatisme». Vois-tu, arnica, ils auraient voulu faire voir les choses autrement... Ils auraient pu le faire après... ils le font aujourd’hui facilement, ils justifient la mort de nos mères et de nos enfants par une nécessité stratégique, par n’importe quel accord ou traité, et la condam­nation du fascisme, ils la considèrent comme mal fondée.