Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
— Oh, une telle bienveillance est la meilleure marque de gratitude, répondis-je, ému, je vous souhaite aussi beaucoup de bonheur!
Je m’éloignai, mais je ne pus résister à la tentation de me retourner pour voir ces gens une dernière fois. J e vis Marco et ses amis, toujours à la même place, en train de feuilleter le livre, l’air heureux. Moi aussi, je fus envahi par une vague de joie, empreinte de tristesse.
1956
Aliona
V assilievitch
ooo
UN SEUL INSTANT
...Plus tard, dans son atelier, pendant toute la journée. Sivtsov se sentit tout à fait jeune et plein de forces. Il se sentait capable de réaliser des projets les plus hardis et d’avoir des élans les plus nobles. Gomme s’il n’avait pas quarante-huit ans, mais seulement vingt.
D’habitude, il avait à la fois plusieurs oeuvres commencées. Parmi elles il y en avait toujours une qui était la principale. Il y était enchaîné comme un bagnard à son boulet. Il y était enchaîné même quand il ne pouvait se forcer à s’en approcher durant toute une semaine, à la toucher de son pinceau. Il y était également enchaîné les jours de ses honoraires quand, en compagnie de femmes gaies et insouciantes, il avalait du vin pour faire passer le goût des discussions intellectuelles où ils avaient aimé à s’engager en se donnant un air de connaisseur.
Une de ses oeuvres commencées était toujours pour son âme. Maintenant, c’étaient les clochettes des champs dans un pot blanc de faïence sur l’appui de fenêtre qui lui étaient chères. (C’était une commande de sa fille cadette: «Papa, faismoi un dessin!»)
Par la fenêtre, on sentait le souffle d’un mois de juin paresseux, il faisait gonfler le rideau en dentelles. Un bourdon vrombissait derrière le rideau. D’ailleurs, chaque rideau cachait un secret
«Le boulet de bagnard» et tout ce qui lui apportait de la joie occupaient, si étrange que cela pût paraître, une place tout à fait à part dans ses pensées et dans son coeur. Quant aux autres soucis, ils se tenaient à part, et faisaient entendre de temps en temps leur voix répugnante. Se moquant de lui-même, Sivtsov appelait ses soucis «pour la maison, pour l’argent, pour ma femme».
Cette fois-ci («pour la maison, pour l’argent, pour ma femme») il avait sur la table un «édredon» important, quatre cents pages d’un manuscrit soigné. Mais il n’arrivait pas à le finir; dès qu’il se mettait à lire, le sommeil le gagnait. Un accord avait déjà été signé, et l’acompte qu’il avait reçu, il l’avait dépensé, mais il n’avait ébauché que quelques lignes du début...
...Sivtsov ne perdit même pas l’haleinc, ses jambes l’avaient facilement porté au cinquième étage, au «perchoir», comme ses amis avaient surnommé son atelier.
Cette fois-ci il ne s’irrita pas à la vue de son «édredon» sur la table, il le tapota seulement, comme on donne une tape au visiteur qui vous a ennuyé et dont vous voulez vous débarrasser: «Bon, camarade Raseur, tu m’auras attendu...»
Ensuite Sivtsov ouvrit avec fracas la fenêtre et, se penchant au-dessus de l’appui, regarda quelque temps en bas, dans la profondeur du jardin voisin; des roses chastes s’y dess naient.
«Je vous ai vu et tout le passé est rené dans mon coeur. Je me suis souvenu du temps...» Il ne se rappela pas cette romance, deupis longtemps il ne l’avait pas entendue. Les paroles et la mélodie de cette romance ancienne (Sivtsov la savait
dès son enfance; son père, un arpenteur, avait aimé la chanter) affluèrent tout à coup dans lui, il ne savait pas d’où, elles frétillèrent dans sa gorge, touchèrent à ses lèvres.
Sivtsov n’avait pas l’oreille musicale, la voix, il ne l’avait non plus. Il ne chantait que pour tenir compagnie, là, où se trouvaient seulement ses amis et où «ça se comprenait», comme ils disaient. C’est pourquoi, ayant chanté faux la première phrase, il cessa de chanter. Ses doigts entrelacés sur la tête rejetée légèrement en arrière, il se mit à lire à haute voix les vers incomparables de Tiutchev: «Parfois, en arrière-saison, il y a des jours quand le printemps se fait sentir et notre coeur s’anime... Ce n’est pas un simple souvenir, c’est la vie qui renaît, et vous êtes pleine du même charme, et l’amour dans mon coeur est le même...»
...Mon Dieu, tout s’était passé en un seul instant. Un seul instant... Le tram avait freiné tout à coup et ceux qui se tenaient debout étaient tombés l’un sur l’autre. Elle aussi, pour se maintenir, s’était cramponnée, sans le vouloir, à sa manche. Il lisait un journal et leurs têtes s’étaient heurtées. 11 n’avait même pas eu le temps de regarder de près son visage, il n’avait senti que ses cheveux frôler sa joue, il avait saisi leur odeur, à peine perceptible.
— Excusez-moi, l’avait-elle regardé droit dans les yeux, saisie de peur et d’une gaieté soudaine (et ses yeux, de quelle couleur étaient-ils?) et elle s’était lentement dirigée vers la sortie.
Il l’avait suivie du regard jusqu’à ce qu’elle ne fût sortie. Il la regardait et il sentait qu’avec elle sortirait et disparaitrait ce qui venait de les rapprocher. Il aurait juré qu’il aurait lu la même chose dans ses yeux si leurs regards s’étaient croisés. Elle était descendue et attendait que les voitures
passent pour traverser la rue. Elle se tenait, le dos au tram, et lui, sans la quitter des yeux, il priait: «Retourne-toi... Retourne-toi... Elle attendait que les voitures passent. Le tram avait démarré et elle s’était précipitamment retournée, avait regardé la fenêtre du tram, l’avait regardé, lui. Leurs regards s’étaient croisés. Elle avait traversé en hâte la rue et s’était arrêtée. Et de nouveau, elle s’était retournée. Peut être, elle arrangeait sa coiffure, il faisait du vent... Mais il avait semblé à Sivtsov qu’elle avait levé la main pour lui faire un signe d’adieu. A lui...
Mon Dieu! L’âne qu’il était! Un âne bâté! Pour faire un arrêt de plus, un seul arrêt, il ne l’avait pas suivie. Il n’aurait pas pu répondre à sa propre question: qu’est-ce qu’il aurait dit à cette femme, comment se serait-il comporté? Elle ne ressemblait pas aux femmes qui ne dédaignaient pas les connaissances fortuites. Lui aussi, bien qu’il eût aimé les femmes, il n’était pas amateur de romans banals.
Il n’aurait pu expliquer ni à lui-même, ni à quelqu’un d’autre ce qui était arrivé, comme s’il avait été frappé d’un coup de foudre. Il n’était sûr que d’une chose: il avait besoin de cette femme. Quelque part, jadis, un hasard ridicule les avait séparés. Et voilà, elle avait brillé comme un éclair, l’avaitbrûlé et avait disparu do nouveau.
Il n’était pas allé tout de suite à son atelier. Il avait contourné deux quartiers à sa rencontre, bien qu’il eût compris qu’elle avait pu tourner à droite et pas à gauche... Peut-être, avait-elle tourné à droite. Ou était-elle entrée à la polyclinique, ou à la bibliothèque, ou au bureau de billets de chemin de fer. Que de portes avaient pu s’ouvrir devant elle, que de directions avaitelle pu prendre d’elle-même. Il n’était entré nulle part, il n’avait pas quitté la direction qu’elle au
rait dû prendre si elle avait désiré cette rencontre aussi ardemment que lui. Ils ne s’étaient pas rencontrés sur ce chemin droit. (D’habitude, toutes les rencontres fortuites se passent dans les ruelles). Etant revenu vers l’arrêt de tram qu’il avait passé et où l’inconnue était descendue, Sivtsov s’était arrêté et s’était attardé quelques minutes sur la place où elle était réstée, et, d’un geste machinal, comme elle l’avait fait, il avait fait un signe pouvant signifier qu’il s’arrangeait les cheveux ou qu’il faisait un signe d’adieu à cette femme.
Lentement, il s’était dirigé vers son atelier...
Il ressentait de la tristesse et en même temps son âme se remplissait de sentiments clairs et légers, comme si pendant le temps qu’il avait marché à la rencontre de son inconnue, son être avait été plongé dans une eau vivifiante. Il lui semblait qu’il était sorti de cette eau jeune et pur, confiant et encouragé. Il marchait à pas larges et légers, il ne ressentait plus le poids de ses quarante-huit ans et l’espoir l’encourageait, comme il avait encouragé jadis André Bolkonski de «La guerre et la paix»: «Ce n’est pas vrai, rien n’est fini encore. J’éprouve encore le désir de vivre, de créer et d’aimer aussi...» Aimer... Tout à coup, Sivtsov, le coeur gros, éprouva la joie douloureuse de ce sentiment. Il l’aurait aimée, cette femme, qu’il avait rencontrée, avec laquelle ils s’étaient séparés il y a une demi-heure. Il l’aurait aimée!
...Sivtsov tourna impétueusement en cercle dans son atelier, s’arrêta devant le chevalet, en fit tomber la couverture brune, déteinte.
— Salut, mes braves! Eh bien, comment délibérez-vous sans moi?
Et bien que les «braves» qui assistaient à une réunion avant le combat dans la hutte du com
mandant ne lui eussent rien répondu, il les regardait aujourd’hui avec d’autres yeux que la fois passée, il y a quinze jours. A ce temps-là, le tableau lui avait semblé désespéramment médiocre et nul, et, ce qui était le plus affreux, inutile... Mon Dieu, combien il en avait vu, aux expositions et musées différents, de ces braves commandants, comme les siens, de ces éclaireurs crânes en pelisses, avec les bandes d’étoffe rouges obligatoires sur leurs bonnets... Et lui aussi... Comme s’il ne savait pas que toute cette joliesse n’était rien d’autre qu’un noir de fumée que ses confrères peintres avaient dégagé.
Aujourd’hui Sivtsov regardait scs braves avec d’autres yeux.
Est-ce que Mikalai Pchanitchny, commandant de détachement de partisans, ne les avait pas réunis do la même façon dans sa hutte avant le combat? Et Viéra Safonava... Est-ce qu’elle était autre? «Camarade commandant, la combattante Safonava est arrivée selon votre ordre!» Sa taille en pelisse, prise d’une large ceinture, sa main rouge de froid et de vent près de son oreille. Un mince sorbier d’hiver. Et le chef d’état-major, Chiéviéliov, de Moscou: «Je suis presque Ivan Ivanovitch, je suis Viktor Viktorovitch», il le disait quand il voulait embrouiller quelqu’un, surtout une femme. Et toi même, frérot Sacha, n’étais-tu pas un étudiant à lunettes et en chaussures de ville (les sapins gelés fendaient) qu’ on avait amené dans cette forêt en décembre quarante-et-un?.. Tu ne t’étais pas avancé au premier plan (c’est de l’histoire, quand même) et tu n’avais pas rais une mitraillette sur ta poitrine bien que tu eusses eu à t’en servir plus d’une fois. Donc, tu serais à ta place... Bon, bon, figurez-vous «L’apparition du Christ au peuple». Figurez-vous, un Alexandre Ivanov de génie, avec un bâton de pé-