Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
lerin, qui se trouve... Mais non, frérot, je coin prends bien que ce n’est pas «I/apparition», et que se n’est pas Alexandre Ivanov, rien qu’Aliaxandre Sivtsov, quel qu’il soit, peintre de son grand temps, de son époque... Donc, prends, barbouilleur, ton pinceau, retrousse tes manches, sue sang et eau, jusqu’à ce que ton bras ne devienne gourde!..
Evidemment, qu’il faudrait ôter un peu de couleur au visage de cette femme-éclaireur. A la lumière d’une douille de cartouche qui fumait d’ailleurs on n’avait pas vu de jeunes filles si florissantes. L’humeur... N’aurais-tu pas oublié: «Sachka, si seulement nous restons vivants, nous serons ensemble pour toujours, pour toujours...» On a survi! On a survi plus d’un combat. Et où est-ce que «nous serons ensemble pour toujours»?
Le commandant a une main trop lourde. Pchanitchny savait piquer au vif, toucher au coeur, c’est pourquoi il donnait plus d’importance au coeur de l’homme qu’à ses poings. Et ici, il le savait bien, il ne les verrait pas tous, après le combat de demain, comme ça en face, droit dans les yeux... Lui-même, il n’était pas ensorcelé. Non, pas ensorcelé...
La main n’obéissait plus à Sivtsov. Le portrait du commandant de détachement lui avait demandé de l’humanité, au nom de leur cause, au nom de la victoire!.. Diable, ça aurait été si facile de passer au touchant, de se rendre à la sentimentalité...
Sa main, tenant le pinceau, faisait son affaire indépendamment de lui. Envahi de cet élan de passion créatrice qui avait emprisonné tout son être, Sivtsov ne s’aperçut même pas que plusieurs heures avaient passé. Son front était couvert de sueur, sa main s’engourdit, tendue.
Sivtsov mit le pinceau de côté, s’approcha précipitamment de la table, fuma une cigarette. Même les amoureux ne connaissent pas de minutes plus heureuses que ces minutes d’une inspiration créatrice inconsciente.
...Maintenant, fumant près de la fenêtre et se reposant, Sivtsov se souvint d’elle de nouveau. Quelque chose d’imperceptible en elle lui évoquait Viéra. Le port de la tête, le regard, la taille. Mais les cheveux, les cheveux de Viéra tiraient sur l’or. Là... Jadis... C’était vrai, pendant vingt-cinq ans même l’or se serait terni...
Tout s’était arrangé de façon que personne d’eux trois ne fut coupable de rien. Ni elles, les deux. Ni lui-même. C’est la vie qui avait pris cette tournure... A ce temps-là, en juillet quarante-quatre, tout de suite après le défilé des partisans dans Minsk libéré il s’était trouvé dans un convoi qui partait au front. Quant à Viéra, revenue de la forêt, elle était entrée à son Institut Pédagogique pour le terminer... 11 avait rencontré Macha à l’hôpital, à la fin du même quarante-quatre. (Donc, «en avant, à Berlin!» ce n’était plus pour lui). A ce temps-là, après la commotion qu’il avait eue, Macha l’avait sauvé avec une patience maternelle. Il était resté avec elle. Il était resté bien qu’elle eût quinze ans de plus que lui, qu’elle eût un mari, qui était un ivrogne, et deux filles... Ils ne parlaient jamais de ces quinze ans (à ce temps-là, ces quinze ans ne se voyaient guère), Macha avait divorcé, les filles s’étaient vite habituées à lui et s’étaient mises à l’appeler «papa»... Pendant les trois premières années de leur vie commune Macha lui donna encore deux filles.
Et cela n’avait plus le sens de chercher Viéra, de lui écrire des lettres, d’expliquer quelque chose.
A partir de ces années-là, pendant tous ces vingt-ans, il avait rencontré Viéra une seule fois: au rendez-vous des partisans dans la forêt Dovski... C’est là qu’ils étaient allés autrefois, à deux, en reconnaissance. Là-bas, dans la forêt Dovski, ils avaient juré que s’ils restaient vivants, ils se seraient unis pour toujours.
Viéra ne venait plus au rendez-vous des partisans. Sivtsov savait qu’elle ne venait pas parce que lui, il venait, espérant chaque fois la rencontrer. Sa vie, à elle, n’avait pas réussi. Deux ans après son mariage elle était restée veuve. Elle n’avait pas d’enfants. Elle ne s’était pas remariée. Sivtsov le savait.
Et Macha? Elle était une femme sage. Une autre, à sa place, l’aurait accablé de reproches, lui aurait cherché querelle, en demandant son amour. (Macha avait compris avant Sivtsov ce qui les avait unis et y tenait). Elle savait autre chose! aucun amour, le plus ardent même, ne pouvait former pour son bonheur une Bastille plus solide que ses quatre filles. Et l’essentiel était ce que lui-même, il n’aurait jamais essayé de faire écrouler cette Bastille... Quatre filles... Deux filles plus grandes, obéissantes, bonnes, ressemblant comme des gouttes d’eau à la Macha la Miche de seize ans, telle qu’elle était sur une photo d’avantguerre. Deux filles plus petites, au contraire, maigres comme des harengs saurs, espiègles...
Macha, douée d’intelligence, mais surtout d’instict inné d’autodéfense et de protection de son bonheur familial (l’arme toute puissante de la femme!), elle ne se mêlait jamais des affaires et des occupations de son mari et ne limitait pas sa liberté. Même quand elle devinait et savait à coup sûr ses péchés. Elle n’avait non plus l’habitude (qu’ont d’autres femmes) de vider ses poches jusqu’au dernier kopeck ou, pis encore,
de téléphoner à la comptabilité le jour de la paye ou d’aller avec son mari pour toucher ses honoraires. Son bonheur familial, Macha le fondait sur le respect et la confiance. (Personne au monde, à vrai dire, ne savait ce que lui coûtait cette confiance!) Vraiment, Sivtsov se serait senti un vaurien s’il n’apportait pas chaque mois à la maison, à sa famille, à Macha, l’argent qu’il avait gagné, l’argent que chaque homme convenable, chef de famille, doit gagner et apporter à la maison, à la famille, à sa femme. (C’est pourquoi sur la table de Sivtsov traînait un «édredon» soigneusement écrit de quatre cent pages).
...En proie aux souvenirs d’un passé éloigné et à la prose quotidienne de la vie où buvaient (et avaient bu) tant d’élans humains les plus nobles, Sivtsov frappa avec colère du poing sur le manuscrit maudit (attrape!) comme si c’était de lui que s’étaient multipliées toute la prose quotidienne et toute la médiocrité, et, se tournant brusquement sur ses talons, il s’approcha précipitamment du chevalet.
...Le commandant de détachement promenait son regard d’un visage à l’autre: «Telle est la situation, mes frérots». ...Le chef d’état-major (même à ce moment il n’oubliait pas qu’une belle femme était assise à côté de lui) clignait des yeux en souriant en homme qui ne connaît pas de défaite: «Je suis presque Ivan Ivanavitch, je suis Viktor Viktorovitch...»
Seuls, la femme-éclaireur et un jeune étudiantpeintre (encore sans mitraillette) cachaient dans leurs regards quelque chose à eux, quelque chose de secret que Sivtsov lui-même ne pouvait pas comprendre maintenant.
1967
Mikola
Rakitny
ооо
LE FILS
Nous dînions, Andrey Danila vilch et moi. L’ombre claire des jeunes cerisiers du jardin tombait sur la fenêtre ouverte; du duvet do peuplier volait dans la pièce. Sous les cerisiers grouillaient des poules, pâmées de chaleur, elles s’enfouissaient dans le sable et s’y immobilisaient pour un moment, ouvrant de soif leurs becs rouges. Une fenêtre était encore ouverte quelque part et un petit courant d’air agréable passait à travers toute la maison, il donnait de la fraîcheur, relevait les rideaux, et, parfois, un fort coup de vent jetait les rideaux dehors où, tremblotant dans l’air, ils atteignaient le cerisier.
Andrey Danilavitch s’occupait du ménage luimême. Dans la maison, il s’était débarrassé do ses grandes bottes de cuir, avait enlevé sa chaude vareuse de velvet, et, maintenant , vêtu d’un maillot, d’une culotte bouffante de drap bleu, de chaussettes blanches tricotées, il paraissait encore plus lourd et plus accablé de chaleur. Mais, malgré sa lourdeur apparente, il faisait preuve d’une agilité inattendue. Il se levait rapidement de table, allait en chaussettes vers le four, et, armé d’un oukhvat1, il le poussait vigoureuse
ment dans le ventre noir du four. Il en sortait un pot ou encore une casserole quelconque, et, en soulevant le couvercle chaud, il prononçait, débonnaire: «Voyons, qu’est-ce il y a là-dedans? Qu’est-ce qu’on nous a préparé...»
Il était évident que ces préoccupation ménagères lui étaient familières: fouiller dans des pots et sur des rayons, en bref, se servir soi-même. Il le faisait avec assurance, avec un grand savoirfaire, sans ombre de mécontentement. Chacun le sait': le Président d’un kolkhoze ne dîne pas à l’heure de tout le monde, mais quand ses affaires le lui permettent.
Nous venions de rentrer du terrain vague Komarovski où une chose désagréable était arrivée. L’excavateur de la R. T. S.2 qui creusait un canal d’irrigation était tombé dans un vieux fossé, couvert d’herbe, et y était resté presque deux jours. Les deux tracteurs S-80 du kolhoze n’avaient pas réussi à le sortir, jusqu’à ce qu’un troisième engin de la R. T. S. ne leur fût venu en aide. Maintenant, pendant le dîner, le souvenir de cet accident tracassait encore le président.
— Il a réussi à se mettre dans un tel pétrin avec son engin! Il croyait se trouver sur de l’asphalte! Ou dans la carrière où il était allé chercher de l’argile! Mais ça, c’est du marécage, tu marches dessus et ça tremble comme de la gelée. Fais vite encore un pas pour ne pas t’enfoncer... Et lui, si ce n’est pas dans le marécage, c’est dans un fossé qu’il s’est fourré. Eh, je regrette que tu ne sois pas mon fils! Je t’aurais fait un tête à tête. Quand je pense au travail
1 Sorte de fourche servant à retirer les pots du four. (N. d. T.)
2 Station de tracteurs du district. (N. d. T.)
que ces tracteurs ont eu à faire et maintenant ils sont sales comme je ne sais pas quoi...
«Je regrette que tu ne sois pas mon fils...» si attentif que je fusse à cette conversation, où, à vrai dire, je ne partageais pas entièrement l’opinion d’Andrey Danilavitch, parce qu’il ne pensait qu’à «son bien», ces paroles firent surgir dans ma mémoire un événement qui, jadis, était resté une énigme pour moi.