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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    — Et toi, grand-père, connais-tu ton étoile?
    — Personne ne connaît son étoile, mon petit. Sauf Dieu bien sûr.
    — Eh, grand-père, quand tu vas mourir, dis-le moi, je sortirai dehors pour voir tomber ton étoile.
    — La mort ne dit jamais quand elle doit ve­nir, mon enfant .
    Au temps où ce livre me tomba sous la main mon grand-père n’existait plus. Il était mort en pleine forêt, en automne, un jour qu’il était allé couper du bois. Son cheval, effrayé, rompit ses harnais et revint à la maison sans son maître. Il faisait une nuit noire, les nuages avaient couvert le ciel et pas une seule étoile n’y bril­lait...
    Le premier sentiment que j’éprouvai, après avoir lu ce livre du ciel, c’était de la pitié pour mon grand-père. Il était mort et cela ne regardait ni le ciel, ni es étoiles. Il avait été enterré au cime­tière et c’était tout. Son âme ne s’envolerait nulle part. Les morts ne s’envolaient pas.
    J’éprouvai encore de I émerveillement mêlé à la peur. Que le ciel était immense! Qui aurait pu compter les étoiles dispersées dans l’Univers, et combien de temps lui aurait-il fallu pour le fai­
    re? Qu i serait le premier homme à poser le pied sur une planète lointaine? Le ciel était immense, sans fin... Comment le croire et comment l’accepter?
    IV
    Une nuit d’hiver. Tout le monde dort. J’avais réussi à conquérir le four. Mais cette fois ce n’était pas parce que j’avais toujours froid. Non. Tout simplement, sur le four on était en bonne position pour se camoufler. La lampe, mèche tirée, ne donnait qu’une étroite bande de lumière. La pendule faisait entendre son tic-tac régulier; du four on ne voyait pas l’heure. C’était bien de ne pas voir l’heure. Le temps semblait s’arrêter, les coqs oubliaient de chanter à l’aube, alors l’aube s’attardait et ne filait pas à tra vers les carreaux gelés. Et moi, j’en profitais pour lire...
    Un petit volume crasseux de Jules Verne, supplément à une vieille «Niva», m’avait été don­né rien que pour une nuit. Le jour suivant, un autre devait lire ce livre. J’avais une seule nuit pour l’avaler. Il y avait beaucoup d’amateurs et c’était un livre qu’on ne pouvait pas trouver à la bibliothèque.
    Le vent hurlait et gémissait dans la cheminée, c’était le meilleur accompagnement de ma lectu­re. L’océan se déchaînait sur les pages, les vagues furieuses allaient renverser le radeau fait de mâts brisés sur lequel se trouvaient des naufra­gés. Rien ne pouvait arrêter ces voyageurs in­trépides. La soif irrésistible du nouveau, de l’in­connu, du non-décrit, les conduisaient vers des ter­res inexplorées. Et voilà les contours flous d’une rive lointaine dans la brume bleue de la mer. Quoi? Une île? un continent? ou tout simp­lement le mirage des hommes épuisés de faim et de soif?
    Je tournais la page avec une curiosité mêlée d’épouvante. Fallait-il encore faire des centaines de milles sur les vagues salées, impitoyables, sans boire et sans manger?
    — Tu ne dors pas encore? Eteins vite la lampe! Les coqs ont déjà chanté deux fois. Tu n’en as pas assez, de ta lecture? Mais regarde-toi donc! tu es sec et noir, et tout ça, à cause des livres...
    C’était ma mère. Elle ne lisait pas de livres. Elle ne connaissait pas les joies de la lecture. Son souci principal était que nous, ses enfants, nous n’eussions pas faim, que nous fussions ha­billés et bien portants. 11 ne fallait pas inquié­ter ma mère.
    — Toute de suite, maman. Il ne me reste que deux pages. Dors, je termine à l’instant...
    La pendule faisait tic-tac, le vent hurlait dans la cheminée, le vieux chat, rayé comme un tigre, étendu sur une botte de feutre en lambeaux, ron­ronnait à peine. De temps en temps il tressaillait, déchirait avec ses griffes le feutre et remuait les oreilles. Sans doute, il rêvait de souris. Mais, en général, depuis longtemps, il était indifférent aux souris, il entendait et il voyait mal et les souris qui étaient au courant de ses faiblesses séniles ne le craignaient point. Des oignons liés étaient suspendus à une perche. A la lumière faible de la lampe ils ressemblaient à des grap­pes de quelques plantes merveilleuses d’outre­mer.
    Pendant la nuit, on pouvait vivre plusieurs vies. Elles resteraient dans mon coeur par le reflet de leurs joies et de leurs douleurs, de leurs vols vertigineux et de leurs chutes. L’aube bleu­âtre de l’hiver était déjà à la fenêtre et je disais adieu aux héros de J ules Verne. Je les aimais, ces hommes, assoiffés d’aventures et désintéressés j’admirais leur intelligence, leur grand coeur.
    Les naufragés découvraient une nouvelle île et leur bonheur me suffisait pour ne dormir qu’une heure et me lever ensuite frais et dispos.
    V
    Grâce à Jules Verne je commençai tôt à voya­ger à travers le monde. Pour cela je n’avais besoin ni de bateaux, ni de trains, ni de mulets. Ma fan­taisie seule me suffisait. Après chaque livre de .Iules Verne lu, je me mettai en marche sur les sentiers où avaient passé ses personnages. C’était facile et j’y arrivais, n’importe quand et n’importe où. Une rue de village, ordinaire, vue mille fois, pouvait devenir une rue nouvelle, inconnue, pour cela il me fallait seulement me débrancher du courant de la vie. Les forêts, les bois de bouleaux bien connus se transformaient, selon la nécessité, en broussailles des tropiques ou en taïga sibérienne. La petite rivière Zmeïka1, envahie par deslaiches et des joncs, qui serpentait au milieu des près derrière les potagers devenait tantôt le Nil Bleu, tantôt un torrent impétueux de montagne.
    C’était si merveilleux de courir le monde. Tout le futile, tout l’ordinaire disparaissaient; l’âme se remplissait de la joie des découvertes, du sa­crifice de soi au nom d’un exploit. Au cours de ces voyages j’oubliais toutes les injustices, tous les tourments, je me sentais grand souverain, distribuant aux hommes la joie et le bonheur.
    Après, je rencontrais des magiciens véritables qui avaient voyagé à travers le monde avec carte et boussole et qui m’avaient appris à voir ce que parfois nous foulions aux pieds sans regar­der.
    1 Zmeika, fpetit serpent. (N. d. T.)
    Anton Antonavitch Strouk, un homme petit, et noir, avec un grand nez, un nez de Turc, nous enseignait la géographie en cinquième et sixième1. Sa singularité se révéla dès la première leçon.
    Il entra précipitamment dans la classe, jeta sur la table sa serviette jaune bourrée à l’ex­trême, et, les mains sur les hanches, il lança un regard d’aigle sur les rangs silencieux des écoliers.
    — Les cartes, ordonna-t-il d’une voix gras­seyante. La géographie est une science exacte.
    Les élèves de service se précipitèrent pour cher­cher les cartes.
    Ensuite nous vîmes quelques chose qui res­semblait à de la magie. Anton Antonavitch avait le dos tourné à la carte, alors que sa baguette, comme un être sensé, vivant, indiquait exacte­ment les chaînes de montagne, suivait le cours des fleuves, de leur source, jusqu’à l’embouchure. Elle contournait tous les méandres, s’arrêtait aux rapides et aux bancs.
    Plus tard il nous fut clair qu’Anton Antona­vitch avait été partout et avait tout vu. H ne nous l’avait jamais dit, mais cela allait sans dire.
    — Nous sommes dans le Sahara, nous disait-il. Il faut faire une provision d’eau pour cinq jours au moins pour atteindre l’oasis la plus proche. Nous sommes coiffés de casques de liège, autre­ment nous ne ferons jamais la moitié de notre tra­jet, nous serons tués par un coup de soleil. Le thermomètre marque cinquante-six au-dessus de zéro. Le sable est brûlant comme la cendre d’un feu. Mettez-y un oeuf et dans une demi-heure il sera cuit, sans feu ni eau. Le désert gris s’étend à des centaines de kilomètres autour de nous. Rien
    1 Correspondent aux classes de sixième et de cinquième des collèges français. (N. d. T.)
    que du sable.Faites attention, il contient beaucoup de soufre, mais on n’en extrait pas ici. Il n’y a presque pas de végétation, à peine si au pied des dunes on voit parfois de petits arbrisseaux épineux de même nature que notre saxaul du Kara-Koum. Un lézard passe, on voit un petit serpent semblable à notre orvet, sa morsure est mortelle.
    Nous cherchons du pétrole dans le Sahara, con­tinuait Anton Antonavitch. Il doit y avoir du pétrole. Les roches érodées de l’époque dévoni­enne que nous rencontrons de temps en temps en sont la preuve. Autrefois il y avait eu ici un pays florissant, des villes et des villages peu­plés. Et encore, bien avant, des millions d’an­nées avant, le Sahara avait été le fond d’un océan.
    Nous étions au Sahara avec Anton Antona­vitch depuis un mois, deux mois, trois mois.Notre peau était devenue noire comme celle des abori­gènes. Nous nous étions habitués au climat et nous supportions mieux la chaleur torride. Les faibles et les malades n’étaient pas avec nous, naturel­lement. Ils avaient rebroussé chemin...
    Je m’imaginais parmi ceux qui continuaient leur chemin. Je n’aurais pas rebroussé chemin sous peine de mort. Ceux qui s’étaient mis en route, à la découverte de l’inconnu, ne devaient pas penser à la mort.
    Mais il y avait des faibles parmi nous...
    — Kiryl Bomzel, s’adressait le lendemain Anton Antonavitch à mon voisin. Montre-nous le Saha­ra et dis-nous ce que tu sais.
    Kiryl se levait avec paresse du dernier banc où il était assis, et, d’une démarche d’ours, il tra­versait toute la classe, allait vers la carte. C’était une carte muette et la baguette de Kiryl qui cherchait le Sahara s’égarait quelque part dans les étendues de l’Océan Glacial. Un rire étouffé
    se faisait entendre dans la classe. Enfin, Kiryl cessait ses recherches, baissait sa tête échevélée et grattait les bouts de ses souliers avec la ba­guette.
    — Tu ne peux pas trouver le Sahara, disait le maître, se retenant pour être poli. Alors, disnous ce que tu en sais.
    — Il fait chaud au Sahara, commençait Kiryl et se taisait, renfrogné. Il ne se rappelait de rien. Il se tenait, indifférent, coi, et regardait par la fenêtre. Mais le maître continuait à inter­roger l’élève. Il voulait éveiller son intérêt.
    — Tu sais, peut être, ce qu’il y a d’utile au Sahara? cherchait toujours à savoir Anton Antonavitch.