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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Tout fut réglé après un événement mémorable. Mis en rage par le silence de Rey, nous passâmes nous-mêmes à l’offensive. Après notre dernier examen, l’examen de géographie, nous cernâmes notre adversaire et commençâmes à feuilleter sous ses yeux le Jules Verne volé. Rey tenait ferme. Il continuait à se taire. Seule sa lèvre su­périeure tremblait à peine et il nous tourna le dos pour ne pas montrer ses larmes.
    Le groupe ne put supporter la douleur muette de son adversaire. Sans rien dire, nous rendîmes à Rey son Jules Verne, et, confus, nous nous éloi­gnâmes...
    Ensuite, pendant tout un été, j’allai à la tour­bière pour me baigner. Il y avait un grand nombre de carrières profondes remplies d’une eau brune comme du café d’orge. Après chaque bain j’allais me laver à la petite rivière Zmeïka. Evidemment, ce n'était pas pour me baigner que j’allai^ à la tourbière. Rey habitait là. Enfin, nous nous liâ­mes d’amitié.
    Les premiers temps, avant notre réconcilia­tion je portais toujours un J ulesVcrne sous le bras. C’était pour gagner sa confiance. C’était mon livre, il s’agissait du Tour du monde en quatre-vingt jours, et je croyais que Komin ne l’avait pas lu. Le jour de notre première rencontre, je lui donnai le livre, sans poser de conditions, je fis donc le premier pas...
    Cet été passa comme une ronde féérique pleine d’impressions inoubliables. Rey était un garçon merveilleux, avec une âme ouverte et sincère. 11 faisait part de ses passions et de ses joies à celui qui était franc avec lui. Inspirés par Jules Ver­ne à courir le monde, à découvrir ce qui n’était pas découvert, nous entreprenions des odyssées aux alentours. Notre pays avait une nature mer­veilleuse. Dans la forêt traînaient de grandes roches erratiques, apportées jusqu’ici, nous ne savions comment, arrachées de la Scandinavie par un glacier. A huit verstes1 du bourg, près de la gare de chemin de fer, une gare peu impor­tante, on extrayait de la chaux. Et tout près, dans un vallon entouré d’oseraies et de saulaies, il y avait une source. Son eau qui jaillissait de sous terre n’était pas ordinaire, elle avait une odeur for­te et désagréable. L’herbe qui l’entourait était maigre et fanée. Mais ceux, qui souffraient de rhumatismes et de certaines maladies que nous ne connaissions pas, y venaient des villages avoi­sinants et remplissaient des tonneaux de cette eau miraculeuse.
    L’eau rouillée des marécages se couvrait ça et là de taches couleur arc-en-ciel. Du pétrole s’y infiltrait on ne sait d’où. La terre natale, notre terre, renfermait dans ses profondeurs des riches­ses fabuleuses...
    1 Mesure itinéraire de Russie (1 067m) (N. d. T.)
    Mais co qui nous avait passionnés le plus pen­dant cet été ce furent les oiseaux. La cigogne, no­tre amie à longues pattes, l’hirondelle, et d’au­tres que nous savions appartenir à nous et à l’Af­rique. Craignant le froid, ils s’envolaient pour l’hiver vers les rives du Nil. Rey, lui, il était convaincu que c’étaient nos oiseaux, à nous. Autre­ment, pourquoi seraient-ils revenus au printemps? En Afrique l’été dure toute l’année et les oiseaux n’ont aucun besoin sensé d’user vainement de leurs forces pour parcourir de tels trajets. La terre natale les at tire simplement, autrefois il y faisait chaud toute l’année comme en Afrique aujour­d’hui.
    Cette idée, dont ce garçon de quatorze ans m’avait fait part, je ne la retrouvai nulle part après dans les livres. Et jusqu’à maintenant, elle me paraît être juste...
    Une nuit passée dans la forêt vint s’ajouter aux souvenirs inoubliables de ces jours. Nous nous étions risqués à aller à trois, Rey, Kiryl et moi, cueillir des champignons dans la forêt, une forêt qui nous était étrangère et hostile. Le temps était couvert, il pleuvait, dès le matin le soleil s’était caché derrière de lourds nuages gris. Evidem­ment, nous aurions pu rebrousser chemin. Mais nous avions, Rey et moi, le désir aventureux de nous égarer. Autrement, à quoi bon avoir pris des allumettes, du pain et du lard pour deux jours? Nous fûmes trempés jusqu’aux os, et, bien sûr, nous nous égarâmes. Nous voilà donc la nuit en pleine forêt. Nous avions allumé un grand feu de branches de pin et de bois mort. Nous ten­dions au-dessus des flammes des morceaux de bois avec du lard piqué au bout...
    Les branches des pins formaient un avant-toit qui nous servait d’abri, un abri rudimentaire, car, levant la tête, on voyait des étoiles: la
    Grande Ourse, la constellation d’Orion, la Voie Lactée...
    La nuit, le temps s’améliora. En nous orientant sur les étoiles nous aurions pu trouver la direc­tion du Nord et du Sud pour sortir sur la route. Mais personne ne voulait retourner à la maison. C’était, peut-être, pour la première fois dans la vie que nous goûtions la douceur de la liberté et de l’indépendance. Mais peu à peu la peur nous enva­hit. La forêt noire, hostile et mystérieuse nous enve­loppait de toutes parts; un oiseau cria quelque part; quelque chosa craqua dans les buissons.
    A minuit, Kiryl, n’en pouvant plus, se mit à pleurer. Il était deux fois plus fort que nous, mais il pleurait comme un veau sans avoir honte de ses larmes. Rey et moi, nous faisions notre pos­sible pour le consoler.
    C’était la dernière année de nos études communes en septième. Dans notre bourg il n’y avait pas encore d’école de dix ans et l’été suivant nous nous dispersâmes...
    VIII
    Ce que je viens de raconter est une page de mon enfance, mon enfance des années trente.
    Aujourd’hui j’ai l’âge qu’avait mon père quand je me passionnais pour Jules Verne. J’ai desen­fants. Mon fils aîné a douze ans, le cadet — sept. L’aîné entre déjà dans cette période de sa vie quand on vit d’aventures, de voyages, et, naturellement, de Jules Verne. Le cadet se pas­sionne pour les contes. Naïfs, mesenfants sont sûrs qu’ils sont les premiers à découvrir les grands mystères du monde.
    J’ai terminé la même faculté de géographie où, douze ans avant Anton Antonavitch avait fait ses études. J’ai appris qu’il n’avait pas beaucoup
    voyagé. Comme tous les étudiants, il était allé dans l’Oural, au Caucase, et c’est tout. Mais Jules Verne non plus n’avait pas beaucoup voyagé. Et il a été un grand voyageur...
    Kiryl, mon voisin, est maître d’école, comme moi. Mais il y a longtemps que nous nous sommes perdus, et j’ai très peu entendu parler de lui.
    Dans notre bourg il y a maintenant une école de dix ans. Tout près, on continue à extraire de la chaux et on dit que bientôt on va construire une maison de cure près des sources sulfureuses. Mais ce ne sont pas les carrières de chaux, ni les eaux miraculeuses qui font la renommée du bourg. C’est Andrey Kaminski qui en fait la gloire. Il est un de ceux qui ont construit et lancé dans l’espace des satellites artificiels. On en a beaucoup parlé dans les journaux...
    Il y a quelque chose de nouveau dans notre pays, quelque chose qui nous arrive pour la pre­mière fois. Des discussions s’engagent entre les habitants du sovkhoze, de la tourbière et du bourg. Chacun prétend que c’est là où il habite qu’ Andrey Kaminski est né. Les discussions se poursuivent souvent à l’école entre les enfants des différentes localités. Alors, parfois je leur sers d’arbitre et je dis toujours qu’Andrey est du bourg. Que son domicile au sovkhoze et à la tourbière n’était que provisoire. On lit de la joie dans les yeux des habitants du bourg et de la déception dans ceux des habitants du sovkhoze et de la tourbière. Mais je voudrais leur dire, à tous:
    — Homme, va, cherche et trouve!..
    1959
    V assit Bykav
    ooo
    L’INFINI DE LA DOYLFUR
    Le temps passe et les ruines disparaissent. Les corbeaux quittent les champs.
    Mais les plaies de la guerre dans nos coeurs Ne se cicatrisent jamais.
    Mikhass Vassiliok
    Un vent glacé d’automne se déchaîne, il balaye les feuilles jaunes sous les bancsautourdesmaisons, il agite les branches humides dans le jardin. Com­me un polisson, il accourt subitement, saute dans une cour étroite, égrène le toit de paille d’une petite étable, et ensuite, comme pour demander d’accepter un cadeau, il bat le dos de Taiklia avec les franges enchevêtrées de son fichu. Les yeux creux de la vieille Taiklia deviennent humides de vent et de froid; de temps en temps, elle se redresse, et, en posant le manche glissant de la hache près du billot, elle essuye des larmes d’un coin de son fichu. Puis, elle soupire avec lassitu­de et jette un coup d’oeil sur les morceaux de bois provenant d’une perche qu’elle a réussie à cou­per. Elle est fatiguée, et ce qu’elle a coupé ne lui suffira même pas pour chauffer le four une seule fois. S’étant reposée quelques minutes et ayant repris son souffle, elle met son pied sur la perche et lève une hache ébréchée.
    Le crépuscule d’automne glisse lentement sur le potager vide de Taiklia, sur le pâturage
    voisin et le chemin qui court sur la colline et se perd dans le gris lointain de l’horizon. Dos nuages bouclés fuient dans le ciel; une brebis pousse un bêlement alarmant, dans le village, derrière les maisons; quelque part, des oies tiennent un discours sensé.
    Taiklia coupe son bois. Elle se repose de temps en temps, et chaque fois elle regarde longuement le chemin. On voit qu’elle attend quelqu’un, et cette attente fait naître une ombre de douleur et d’espérance dans ses yeux larmoyants.
    Enfin, sur la colline apparaît la silhouette d’un cycliste qui roule rapidement, et Taiklia identi­fie par quelques indices qu’elle seule connaît, le facteur du kolkhose. Le cycliste s’approche, en longeant le bord du chemin, puis, en bas, il des­cend de sa bicyclette, la tire des déblais et l’enjam­be de nouveau, en poussant du coude sa lourde sacoche pour la ramener sur le dos.
    A mesure qu’il s’approche, l’impatience gagne la vieille de plus en plus fort. Elle pose la hache et sort de sa cour, sans enclos, dans une rue bou­euse. Ses mains se promènent avec fébrilité sur sa poitrine, elles touchent involontairement son t ablier; son visage se crispe dans une at tente dou­loureuse; ses yeux reflètent l’angoisse d’un espoir longuement nourri. Quand le facteur débouche sur la rue, la femme marche dans la boue, à sa rencontre, comme si elle a peur qu’il passe sans faire attention à elle.