• Газеты, часопісы і г.д.
  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    Peu à peu la nuit aveugle d’automne, un silence sourd envahissent la maison. Taiklia est seule. Il y avait eu jadis un chat, mais il avait disparu on ne sait pourqioi. La grande douleur de la vieil­le lui avait fait perdre l’intérêt de vivre,avait brisé son caractère, réduit son âme en poussière: rien ne réjouit plus la vieille femme restée seule.
    Elle est toujours couchée, les yeux ouverts, de tristes idées lui viennent à l’esprit, et elle tend une oreille attentive dans le silence. Elle s’y est habituée, durant ces seize années d’angoisse, remplies d’attente, à prêter l’oreille au moindre bruit.
    Mais le silence règne partout; un vent froid soupire sur le toit; on n’entend que le bruit d’un véhicule, quelque part sur la route. Le véhicule s’approche, dérape, peut être dans les déblais au pied de la colline. La lumière tremblante de ses phares, bleuâtre dans la nuit, glisse sur les fe­nêtres de la maison et pose une étroite bande bril­lante dans un coin sous la table. L’automobile s’approche, la bande se déplace lentement sur les poutres fumées et fendues, elle s’élargit; les croi­sées noires des fenêtres apparaissent, on voit sur le mur le reflet oblique de la fenêtre avec un car­reau brisé. Le reflet longe le mur du côté opposé et tout à coup disparaît, en éclairant pour un instant un grand clou et le col de la pelisse qui y est suspendue. L’obscurité remplit de nouveau la maison; le camion passe devant la cour de Taiklia dans un grand vacarme.
    Taiklia écoute sans bouger, elle pense, et, tout à coup, elle tressaille, envahie par un nouvel espoir. Si c’est lui qui vient d’arriver de la gare, alors il est tout près de la maison et il va entrer. Taiklia lève la tête, écoute et entend quelqu’un monter d’un pas peu sûr sur le perron, frapper légèrement à la porte. C’est lui! La vieille se lève,
    descend du four, prend sa blouse et fait tinter le loquet avec hâte. Elle ouvre la porte de l’entrée toute grande, l’humidité et le froid de la nuit d’automne la frappent au visage, tout est calme autour, tout est noir. Sur le perron, il n’y a per­sonne, la cour se perd dans l’obscurité. Elle scrute la nuit pendant une minute, elle écoute, et son coeur, de nouveau, se remplit de tristesse; mais il ne veut pas accepter la perte d’un nouvel espoir. Elle marche avec précaution sur la terre boueuse, elle va jusqu’à l’angle de la maison, regarde fi­xement la rue: il n’y a personne, personne, nulle part.
    Ensuite, elle rentre dans la maison et se recouche sur le four, les yeux ouverts, et toute la nuit elle tend l’oreille. Elle ne s’endort qu’à l’aube et elle voit un rêve merveilleux qui fait suite à ses pen­sées.
    ... Le lendemain arrive, c’est l’anniversaire de Vassiliok. Elle est affairée dans la cour et elle jette toujours des regards sur la route, elle attend et elle sait, poursiir, qu’il viendra aujourd’hui, son fils,son bonheur. Elle se prépare à le recevoir,mais son coeur ne se réjouit pas, elle ne sait pourquoi, à l’idée de cette rencontre; il y a quelque chose de plus fort que la joie. Enfin, l’attente de la ren­contre disparaît. Taiklia chauffe le four,Marysska, sa fille, l’aide. Elles font des crêpes, et, quand elles trouvent une minute libre, elles se ré­galent de ce repas de fête, en oubliant tout à fait Vassiliok et son retour tout proche. Et tout à coup Ouliana, la fille des voisins, frappe à la fenêtre et lui crie quelque chose; Taiklia n’entend pas les mots, mais elle devine que son fils arrive. La vieille se jette dehors et voit, sur la même route, comme il y a seize ans, elle voit revenir son fils, son cher Vassiliok. Mais il marche très lente­ment il s ’arrête souvent, il se met à genoux, quel­
    que chose lui est arrivée, il a, évidemment, de la peine à marcher. Saisie d’inquiétude, désespérée à un tel point qu’elle ne peut se contenir, tête nue, oubliant son fichu, une blouse couvrant ses épaules, la mère court , à travers un champ de pommes de terre, à travers la boue, à la ren­contre de son fils. Elle sait déjà qu’il lui est arrivé, à son Vassiliok, quelque chose de ter­rible et d’irrémédiable. Elle accourt, secouée de sanglots, et le voit, gisant sur la route, essayant de se soulever sur ses bras. Son visage, jeune, comme il y a seize ans, sans rides, sourit avec compassion. Mais qu’est-ce donc? Pourquoi n’a-t-il ni bras, ni jambes? Il n’a que de courts moignons. Pourquoi voit-elle du sang sur son calot avec la petite étoile verte? La mère, terri­fiée de peur, se cramponne à son fils, essaye de le soulever, et elle pleure, et lui, il lui dit tran­quillement: «Ce n’est rien, maman, tout le mal est passé. La vie recommence...»
    Ensuite, elle le voit dans sa maison. Il est as­sis à la place d’honneur, à l’angle droit, il n’a plus son uniforme de l’Armée Rouge sur lui, mais un veston gris qu’il s’était fait faire avant la guerre, il dit sérieusement à sa mère: «Ce n’est rien, bien que je sois tué, je suis de nouveau vi­vant.»
    Ces terreurs incroyables la réveillent à l’aube. Exténuée de ce qu’elle a vécu en rêve pendant la nuit, elle reste sans bouger, sans savoir com­ment interpréter son rêve. Elle l’évoque, elle pénètre dans tous ses détails, elle se tourmente à ce spectacle dont les sensations sont si nette­ment exprimées, et plus elle pense, plus elle de­vient sûre qu’il rentrera. Cette certitude et ce dé­sir de voir son rêve se réaliser ne lui permettent plus d’attendre sans action. Elle se lève, jette vite une jaquette sur ses épaules. Il fait froid
    dans la maison, le foui’ s’étant refroidi depuis longtemps; une matinée fraîche bleuit dans les fenêtres. Taiklia se précipite vers la fenêtre au carreau brisé pour voir la route. Mais on ne voit pas encore la route; seule, une colline vide se dessine sous un ciel bas, couvert de nuages, et c’est tout. La vieille va et vient dans la maison, sans savoir que faire, par quoi commencer; dans ses pensées, elle se trouve sur la route, et l’im­patience gagne de plus en plus son coeur. Elle croit déjà qu’il est en train de rentrer, et tout le temps elle court vers la fenêtre ou elle sort dehors et scrute longuement l'horizon loin­tain.
    Quand il fait grand jour, Taiklia, ne pouvant plus se retenir, sort dehors et se met à regar­der fixement la route. D’abord, il n’y a person­ne, ensuite un chariot apparaît, il y a là deux hommes et une femme. La vieille les suit des yeux pendant longtemps, envahie d’impatience, et eux, ils traversent le village, en parlant avec insouciance. La route reste déserte, puis elle voit une silhouette, une seule. La silhouette apparaît, s’agite sur l’horizon et disparaît quel­que part. Taiklia sent son coeur s’arracher et la conjecture la frappe sourd dans la tête: «C’est lui!» Elle regarde encore et ne peut plus se retenir. Sans fermer la porte de l’entrée, nus pieds dans ses bottes, elle court sur la route. D’abord, elle évite la boue, en regardant tantôt sous ses pieds, tantôt sur la colline, ensuite elle presse le pas et marche sans faire attention à la route. Quand elle arrive près des déblais et ne voit plus la col­line, l’angoisse l’envahit. 11 lui semble qu’elle est en retard, qu’il est tombé et qu’il gît là, mutilé, et la mère, haletante, se met à courir.
    Son coeur va se déchirer de douleur et d’ef­fort, quand elle atteint le ravin. Il lui semble
    qu’elle vient de le voir, comme dans son rêve, sur la route, à bout de forces, mutilé. Brisée de fatigue et d’émotion, elle monte la colline, mais la route est déserte. C’est sa pre­mière désillusion, mais elle n’ébranle pas la cer­titude de la femme. Peut être, il est plus loin, audelà des buissons, où à Loujok, pense-t-elle, et, sans s’arrêter, elle continue sa course folle.
    Une nouvelle journée commence, une triste journée d’automne, imperceptible, au-dessus des vastes étendues, au-dessus des champs et des bois dénudés: le vent souffle, il fait froid. Le ciel bas s’emplit de gros nuages bouffis; ces nuages forment un troupeau interminable et serré qui vient de l’Ouest; ils présagent l’hiver.
    Taiklia ne s’arrête ni sur la colline, ni près des buissons, elle ne peut ralentir le pas, tout en elle la précipite en avant, là, où elle l’attend. Tout le temps il lui semble qu’une colline atteinte, ou des buissons passés,elle le verra. La femme pres­se le pas.
    Mais il n’apparaît ni sur la colline, ni après les buissons; elle commence à faiblir. Une fois elle s’adosse à un poteau télégraphique, et, comme pour la première fois, étonnée de la vanité de son es­pérance, elle se retourne. C’est bien, pensa la vieille, que mon homme soit enterré chez lui, au cimetière du village, sa tombe est soignée, et lui, son fils, où est-il? Où est-il enterré? crie son âme. Est-ce vrai que tout est fini, qu’elle ne le reverra jamais plus, qu’elle ira s’installer dans un autre village, chez son gendre?.. Mais pourquoi est-il enterré? Ce n’est possible qu’il soit mort, il doit vivre, il marche sur la même route et il faut aller vite à sa rencontre. Elle continue à tapauger dans la boue vers l’inconnu.
    Vers midi, elle passe des lieux qu’elle connaît, des villages qui lui sont familiers. La route ser­
    pente parmi les étendues d’automne, la mère la regarde avidement, mais elle ne voit son fils nulle part. Elle marche toujours, mais elle est déjà à bout de forces, et elle se repose souvent au bord de la route, près d’un poteau, sur des pier­res. Mais elle ne peut pas s’arrêter, elle ne peut pas revenir: il lui semble que la vie de son fils est sur cette route.
    Elle rencontre un tracteur qui traîne une gran­de batteuse; plusieurs gars s’y trouvent. La vieil­le quitte le chemin pour s’éloigner du bruit et promène ses yeux attent ifs sûr les hommes. 11 lui sémble qu’un d’eux, assis dans la cabine, près du conducteur, ressemble beaucoup à son Vassiliok. Le tracteur est passé, mais elle continue à le suiv­re du regard. Un gars, sa salopette ouatée dé­boutonnée, assis sur la batteuse, lui crie quelque chose et se met à rire, elle n’entend pas ce qu’il lui a crié, mais son jeune rire enjoué la fait tres­saillir.