Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Un vieux chemin vicinal menait à travers la pinède vers le marécage. Des racines de pin, Manches, usées par les roues, couvertes à peine d’un foin noirci. On avait porté du foin du marécage; il y avait eu beaucoup d’eau cet été, et personne n’avait pénétré jusqu’au fond. On n’avait pas fauché tout le marécage même: il n’y avait personne pour le faire. Maintenant, seules les femmes prenaient les faux: beaucoup d’hommes n’étaient pas rentrés de la guerre. Et le marécage restait intact; il jaunissait; noircissait. On n’y faucherait plus d’herbe pour le fourrage. Peut être, quand il gèlerait, le père d’Irka «battrait» l’herbe pour qu’au printemps, quand elle aurait séché, Biaraizavets ne prît pas feu.
Près du marécage, il y avait des bouleaux avec des bolets bruns et de l’amadou. Pendant la guerre le père s’évertuait à en faire du feu, c’était bien que maintenant il y avait des allumettes dans le magasin. Irka n’arrivait pas à en faire du feu; mais elle en faisait à sa manière: elle tirait de l’ouate d’une vieille vareuse de se mère, en tordait une mèche y mettait le feu et l’éteignait dans une douille juane de cartouche allemande. La première étincelle qu’elle battait avec du silex embrasait la mèche noire. Mais la mère la grondait pour cette ouate: elle allait repriser pour l’hiver sa vareuse avec le fil que le père avait apporté du district en l’échangeant contre une peau de loup.
Près des bouleaux il y avait des aunes, des trembles et de petits chênes. Ils étaient petits dans cette humidité. Parmi des feuilles jaunes des bouleaux on voyait des sorbes rouges et des obiers mûrs, il y en avait beaucoup à Biaraizavets. Quand le marécage serait caché sous la neige, des pies et des bouvreuils y viendraient pour becqueter Mais maintenant les sorbes étaient amères, les
bouvreuils n’y touchaient pas; ils s’occupaient des pommes de pin: le résultat de leur travail, on le voyait sur la mousse, sur le sol.
Il y avait encore des framboises tardives; le bouillon blanc était rouge et les mûrons commençaient à devenir noirs. Sur les ronces, il y avait des épines et des toiles d’araignée. Les mûrons étaient amers: leur temps n’était pas encore venu.
Les airelles rouges étaient les plus douces, comme les pommes à vin, ce n’était pas la framboise. Irka savait cueillir les airelles rouges. Sur le rucher elles poussaient en touffes; Irka prenait une touffe, et, voilà, elle tenait une poignée d’airelles. Il y en avait beaucoup près des souches, on aurait dit que quelqu’un y avait vidé son panier.
Dans le marécage, sur les mottes, il y avait de la canneberge et des serpents. Ils se cachaient dans la mousse. Irka n’avait pas peur des serpents, mais la canneberge n’était pas assez rouge. Elle irait en cueillir avec sa mère, plus tard, quand le bois de bouleaux aurait perdu ses feuilles, elle irait pour toute la journée, loin ,vers les Vieux Aunes, et elle prendrait un sac. Le soir, le père viendrait les chercher: elles ne pourraient porter le sac toutes seules, parce que la canneberge est aussi lourde que la pomme de terre.
УQuand il faisait calme à Biaraizavets, Irka entendait le bruit des avions qui passaient dans le ciel, près de petits nuages blancs, et elle voyait une traînée blanche que l’avion laissait derrière lui. Ces avions étaient apparus au-dessus de Biaraizavets il n’y avait pas longtemps. Irka entendait encore le bruit des camions au-delà de la Haute Berge; c’étaient les ouvriers des Eaux et Forêts qui y déchargeaient du bois. Irka voulait aller à la Haute Berge, elle n’y était jamais allée, mais sa mère l’avait envoyée avec un panier cher
cher de l’herbe pour le porcelet, et le père n'était pas à la maison: i l était parti dans la forêt voir ses cerfs; qui, donc, permettrait à Irka de partir? Sa mère ne le lui permettait jamais.
Irka entendit un bruissement d’herbe sèche près de la rivière; quelqu’un était là. Des sangliers. Ils venaient ici, de la forêt.
Des canards remuaient dans l’herbe; au-dessus, un pic frappait un pin sec, sans sommet. Des pies jacassaient près de lui, elles voletaient, saisissaient en vol de la poussière et des morceaux d’écorce.
Un renard s’approcha du marécage, il leva sa queue et flaira la mousse: il avait pressenti des souris. Ensuite, il baissa la queue et se cacha dans les fougères: il avait entendu Irka quitter le marécage; le silence s’installait de nouveau. Le soleil prenait le chemin de l’Ouest, des nuages rouges se figèrent dans le ciel, un petit vent froid souffla, du marécage, sur le rucher. Un scarabée bourdonna au-dessus de sa tête, puis il se heurta contre sa joue et tomba sur la mousse, à ses pieds. Irka entendit un lièvre se laver les oreilles avec ses pattes, derrière deux souches, rouges de résine. D’abord, elle l’entendit, et, ensuite, elle le vit, un lièvre gris. Ayant frotté ses oreilles, le lièvre tourna le museau et escalada la colline.
— Eh! lièvre! T’es-tu lavé avant do te coucher? Irka regardait la mousse dressée près des souches, des scarabées et des fourmis grouiller dans les souches et se cacher dans les trous du bois vermoulu. Evidemment, tu m’as flairé.
Tout à coup, elle vit des cerfs et laissa tomber son panier. Peut —être, elle eut peur: elle n’avait jamais vu de cerfs. Ils venaient droit vers elle et leurs sabots claquaient sec en se heurtant aux racines. Ils étaient quatre, ils marchaient
l’un après l’autre. Le premier était gris, avec des taches noires. Grand et beau, il marchait, la tête fièrement levée. Sa ramure touchait presque son dos, comme l’anse d’un grand panier. L’animal qui le suivait, sans ramure, une biche, évidemment, tournait de temps en temps la tête pour voir deux faons, sans ramure, eux aussi. Ils allaient à la rivière et n’avaient pas peur d’Irka. Seulement, quand ils s’approchèrent d’elle, ils s’ébrouèrent et disparurent dans le bois de bouleaux.
— Ohé! entendit Irka la voix de son père; il serait revenu de la Haute Berge et il la cherchait, peut être.
Le jour baissait. Le soleil se couchait du côté du village, et il semblait que la forêt était en feu. Au-dessus de la rivière, là, où se trouvaient les Vieux Aunes, la brnmaille bleuissait, comme une fumée. Des canards volèrent tout bas, au-dessus du rucher, ils étaient lourds et se portaient avec peine, ils disparurent dans un coin éloigné de Biaraizavets où il faisait déjà sombre.
— Ohé! résonnait l’écho dans la forêt.
Irka approcha sa paume de la joue, comme le faisait toujours son père, et cria:
— Ohé! J’arrive!
La Haute Bergeétait un poste-frontière,et,avant la guerre, son accès était interdit. D’ailleurs, Irka était petite, elle n’y serait pas arrivée; le poste-frontière était plus loin que le village.
C’était l’endroit le plus élevé. Il semblait que l’on se trouvait sur le toit d’une maison. Quelque part en bas, dans des buissons, il y avait une rivière profonde, de l’autre côté, un ravin, des meules brunes, plus loin, un champ, jaune au soleil, qui brillait. On y voyait les fichus blancs
des femmes qui moissonnaient le blé avec leurs faucilles et faisaient des tas de gerbes. Autrefois, de l’autre côté de la rivière, avait vécu Ksénia, la tante d’Irka, avant la guerre elle venait souvent chez eux.
Les Allemands l’avaient tuée.
Le ciel étalit limpide; le soleil brillait comme en été. A travers la jeune pinède, on voyait passer lentement au-dessus du rucher, sur des fils blancs, comme sur des toiles d’araignée, la semence d’une haute herbe rougeâtre qui poussait près des souches.
On sentait le pin, la terre et l’argile humide. C’était là que l’incendie avait eu lieu.
Des policiers avaient brûlé le poste-frontière en quarante-et-un. Quelqu’un leur avait soufflé que Chlioma, un vieux couturier de Davguinav, s’y cachait. On avait pris Chlioma, on l’avait emmené en camion.
Maintenant, à la place où se dressait autrefois un grand bâtiment, une pinède épaisse était poussée. Elle était plus haute que celle du rucher, plus haute qu’Irka.
Là, il y avait une grande pierre rouge, fendue, couverte d’une mousse noire et grise; on y voyait aussi des éclats de verre, des briques calcinées: plus loin, là, où avait été la cour, maintenant la terre était labourée, on voyait un grand isolateur blanc qui brillait, nettoyé, au sable. Irka se souvenait que l’on installait des poteaux téléphoniques reliant le poste-frontière; un poteau avec des isolateurs blancs avait été installé près de leur maison; il résonnait en hiver, on pouvait croire que c’étaient des loups qui hurlaient quelque part à Palik.
Sur la cour labourée et sur le rucher on avait planté de petits pins. Ils n’avaient que deux branches, et, de loin, on pouvait les prendre pour
l’herbe du marécage. Des grillons stridulaient au-dessus. Dans le sillon on voyait une petite borne portant l'inscription:
«KV. 29 POS. SOS. PL.2,40 194...»
Irka se souvenait que c’était son père qui avait fait ces bornes avec l’inscription quand ils habitaient le village.
Au bord de la rivière il y avait de vieux chênes branchus, leurs branches touchaient presque le sol. Sous les chênes on apercevait des tranchées laissées par les partisans. Elles donnaient sur le village au-delà de la rivière, sur le pré,avec les cigognes et le bétail, sur le champ, avec la fumée du tracteur. Ces tranchées étaient déjà recouvertes de mousse, d’airelle rouge, de bruyère; des aiguilles et des pommes de pin les avaient envahies. Pendant le dernier encerclement c’était le lieu de combat de la brigade de partisans Koutouzov qui avait fermé aux Allemands le passage de la Vilia.
En automne, les osiers étaient beaux près de la rivière. Ils étaient rouges, verts, bruns, jaunes, ils brillaient au soleil et ils longeaient le pré très loin, jusqu’à ce que la rivière ne se cachât dans la forêt. Irka voulait y aller toujours, là, où se cachaient les osiers, où les forêts étaient plus grandes que chez eux, à Biaraizavets, où le monde était tout à fait inconnu. Elle soupirait, elle rangeait ses nattes noires, longues et épaisses, qui s’étaient défaites, elle essuyait son front en sueur, il faisait si chaud! et déboutonnait une vieille pèlerine, un cadeau de luxe, que sa mère lui avait offert.