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    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    2 Un poème de M. Lermontov. (N. d. T.)
    mots: «Ce n’est pas ça, la génération d’aujourd’­hui. Des preux, vous n’en êtes pas» et il montre du doigt Artsiom Dzianissavitch, le secrétaire même, ah, bandit!.. Le secrétaire fait des efforts, se courbe pour ne pas rire à haute voix, mais se tait jusqu’à ce que le diseur n’arrive au point. «Quel fils tu as, Andrey Danilavitch, dit-il. C’est un gaillard. 11 se fera le chemin lui-même dans la vie.»
    A ces mots, le narrateur sourit tristement, mo­queur, et hocha la tête avec amertume.
    — Il l’a fait... Oh! Comme il l’a fait, son chemin! Si tu veux, tu peux le faire dans une charrette, ce chemin... C’est aujourd’hui que je le vois, mais avant, est-ce que j’avais pu le pré­voir? J’étais un sot, j’étais content et je ne dé­sirais qu’une seule chose, le voir grandir plus vite, le voir décoller... Le temps est venu, il est allé à l’école. Comme un veau qui vient de s’échapper de l’étable! Il est entré dans les études. Je le regarde et je m’étonne: le marmousset d’hier! Hier encore tout était sens dessus dessous chez lui et aujourd’hui il sent de la responsabilité. 11 se penche comme un cosse au-dessus de la table et tantôt il pioche à lire, tantôt à résoudre des problèmes, il s’aide de sa petite langue et ses petits doigts sont tout bleus... Cela me fait rire et en même temps je vois la grandeur du moment: un homme se fait homme lui-même! Et des an­nées ont couru, l’une après l’autre. Mon fils grandit, il s’ajoute un verchok1 à chaque classe. 11 grandit à vue d’oeil. Je vois, il est arrivé déjà jusqu’à la géométrie et l’algèbre. A vrai dire, j’ai été glacé d’émotion: ne sombreras-tu pas, mon écolier? Moi aussi, j’ai étudié à mon temps, mais quand je suis arrivé au mur de pierre bâti de «x»
    1 Mesure de longueur en Itussie (4,4 cm). (N. d. T.)
    et de «y», c’en était fini avec mes études. Que de fois dans ma vie je les ai vus dans mes rêves, ces «x» et ces «y»! Je sais que moi, diable, je suis Président du kolkhoze et vous, instituteurs, qu’est-ce que vous me voulez avec cette algèbre?.. Ou encore Artsiom Dzianissavitch lui-même me fait un examen au comité de district et frappe lé­gèrement avec de la craie sur le tableau... Je me réveille tout en sueur, effrayé... C’est pourquoi j’ai eu peur pour mon Sviétazar... Et lui, il continuait toujours... sans même s’arrêter pour regarder à quoi il avait affaire. 11 les a cassés fa­cilement, ces «x» et ces «y», comme des noisettes, et il est allé plus loin. Eh bien, je pense, si c’est comme ça, rien ne te retiendra plus. Le plus dif­ficile est resté en arrière. Je n’ai pas vu comme il avait atteint la dernière classe. L’école de dix ans passée! Qu’en diras-tu? C’est le tremplin que chacun envie et d’où on peut sauter où tu veux.
    C’est encore dans la classe de huitième1 que nous avons commencé le rodage: notre fils, où sauterait-il mieux? En faire uningénieur-hydrotechnicien, ou un savaht-atomiste? Un architec­te? C’est aussi attrayant et honorable. Et quand je le regarde dans une pièce sur la scène de notre club, je me moque de moi-même: le malin que je fais! En voilà un artiste! Il ne lui faut, comme on dit, qu’une bonne école... Avec ce rodage, j’en suis venu jusqu’au cosmos. Nos satellites volent dans le ciel, dans l’espace, et moi, où que je me trouve, je regarde toujours le ciel: «N’y cherche­ras-tu pas ton bonheur, mon fils? Ne pas voler, peut être, mais construire ces petits vaisseaux, au moins. Cela revient au même: cosmonaute. Le cosmonaute Sviétazar. On n’imagine pas mieux...»
    1 Classe de huitième des écoles en U. R. S. S. correspond à la classe de troisième dos lycées franais. (N. d. T.)
    Et lui, il est prêt, à tout, il m’écoute et il rit sous cape.
    11 avait un ami, Fedzka Mikoultchik; fils d’une basse-courière. Je ne sais pas moi-même ce qui les a liés. Sviétazar est un grand gars, sa taille, ses épaules, tout est bien fait. Et ce­lui-là, il n’y a rien à voir: un gringalet pâle et maigre. Il arrivait qu’ils allaient à l’école, au district, en bicyclette, le mien est sur la selle, et Fedzka, sur le porte-bagages. Ce dernier se colle en arrière, comme un moineau, et ils y vont, comme père et fils. Que ce Fedzka était persistant, persévérant! Pendant les vacances, quel que soit son travail, il a toujours un livre sous le bras. Il répète sans cesse: je serai chimiste. Son minois est pas plus grand qu’un poing, mais quand il se met à parler dos matières plastiques ou des polymères, et de leur avenir, tu le crois, tu crois qu’il se fera un chemin dans cette chimie. Il a déjà l’adresse: Institut Polytechnique. Voilà! C’était Fedzka! Quand à mon Sviétazar... je ne savais même pas qu’il était déjà entré à l’institut de Paramon. Tout l’été il rentrait sale comme un cochon, couvert de poussière, il n’y avait que ses yeux qui brillaient. «D’où viens-tu?» «De chez Paramon». «Où vas-tu?» «A Padleski. Après le dîner on va se rendre à Dolgaïa Poliana.» Sa combinaison enveloppée dans un journal, il dis­paraît pour toute la journée jusqu’au crépuscule... Eh bien, tu t’es amusé, je pense. Prends-en jus­qu’à ce que tu en aies marre. Tu te souviendras un jour de la poussière que tu as avalée, tu seras plus appliqué aux études... Ah! Paramon! Para­mon. Si je le savais, tu aurais été chez moi pom­pier, veilleur de nuit, berger! Pour que tu ne voies personne, aucun être vivant, sans parler de mon fils.
    — Qui est-il, demandai-je à Audrey Danila-
    vitch, ce Paramon? Conducteur de camion ou de machine combinée?
    Andrey Danilavitch, la tête entre ses mains, les coudes sur ses genoux, resta quelque temps recueilli, regarda ses chaussettes, en agitant les orteils, et me lança, enfin:
    — Un conducteur de tracteur!.. Un des plus ordinaires, et, je dirais, un ignorant. Qui n’a fait que trois classes et qui a beaucoup d’enfants. C’est tout. C’est vrai, il sait son métier. Tune lui prendras pas cela. Il a la flamme sacrée pour le travail...
    — Mais où est donc sa faute?
    — Mais il aurait dû chasser ce coquin!.. Il l’a apprivoisé. Voilà, regarde, ça, c’est des leviers, et ça, c’est des pédales. Tu serres celle-ci et tu lâches celle-là... Et le petit ce donne de la peine. Il voit par la vitre les sillons qu’il fait et il croit qu’il n’y a rien de plus sensé au monde... Voilà où est sa faute. Et à qui a-t-il fait cette saloperie, au président du kolkhoze!..
    Nous nous tûmes pendant une minute. Mon interlocuteur, sombre, anxieux, s’adossa au dos du canapé et étendit les bras. Obsédé par ses pensées, il frappait nerveusement de ses poings fermés sur le dos du canapé. Je ne voyais pas grand mal à ce qu’il m’avait raconté et je ne savais pas si je devais le prendre en sympathie, ou, au contraire, m’engager dans une discus­sion.
    — Et le fils, quoi, demandai-je, n’est-il allé nulle part?
    — Faire ses études? Hum... Le visage d’Andrey Danilavitch se crispa dans un sourire méchant, il desserra ses poings et tambourina des doigts sur le dos du canapé. Et comment... Il est allé... Est-ce qu’on pouvait battre en retraite? On a beaucoup parlé de ses études et il l’a fait com­
    me par inertie. On a choisi, on a rechoisi et on a décidé d’en faire un maître d’école, tout simp­lement. C’était le désir de sa mère. 11 est un gar­çon calme, disait-elle, doux, il aime la cam­pagne... Pourquoi devrait-il courir après quel­que chose de grand et être toute sa vie à l’étroit en ville? Ainsi, il irait à la campagne et il en­seignerait tout doucement aux petits enfants... Elle est zootechnicienne, ma femme, elle est une femme cordiale et sensée... Bon, comme tu veux. Ce qui compte pour moi, c’est qu’il fasse ses études. Pour que je puisse dire à chacun: mon fils est à l’institut!.. 11 est parti. Ils sont partis avec Fedzka. Celui-ci, têtard, est entré dans sa chimie avec les notes les plus hautes et le mien, à l’Institut Pédagogique, au chef-lieu de la région.
    Il fait ses études et quelque chose, à vrai dire, me ronge. Adieu, le savant, adieu, le cosmonau­te!.. Une petite pluie échappée d’un gros nuage. Comme si au lieu de l’étoile d’or qu’on t’avait promise on te refilait une misérable médaille de bronze. Qu’est-ce que c’est qu’un pédagogue? Quelle est sa perspective? Jeune, il est péda­gogue; il s’approche de sa retraite, il est toujours pédagogue. Des cahiers, des manuels, des conseils pédagogiques, le vacarme éternel qui lui rompt les oreilles... Une bêtise, mon fils. Comment donc nous nous sommes rendus si vite?.. C’est ce que je pense, mais je n’en laisse rien voir: mon fils va posséder une profession la plus terrestre et la plus humaine. Pédagogue! Evidemment, c’est écrit dans le ciel, nous serons toujours avec le peuple!..
    Pendant deux — trois mois tout suit son train. Il étudie, ses lettres sont vives, bonnes. Il décrit sa vie dans chaque lettre: comment il fait des sou­pes au foyer, comment il court à l’institut, il
    il’a mémo pas caché comment il avait reçu un blâme du gérant du foyer pour avoir courbé son lit par ses exercices sportifs... Même cette gami­nerie est un amusement pour ses parents. Leur fils, leur fils à eux. Il grandit, le fer se plie entre ses mains!.. Puis, quelque chose d’incompré­hensible a commencé. Mon étudiant a eu le ca­fard. Rien que du geignement dans chaque lettre. Tantôt c’est un professeur qui ne lui plaît pas, tantôt on leur a refilé une discipline qui n’a aucun rapport au programme. Enfin, il a avoué, il a dit tout franchement: vous m’en voudrez ou non, mais ce n’est pas mon affaire... Il a attendu les vacances d’hiver et est revenu, chez son père et sa mère. Avec tous ses bagages et documents, c’est à dire, pour ne plus y retourner. Hein? Com­ment? C’est gai?..
    Tout d’abord je ne l’ai pas pris à coeur. J’ai pensé que nous avions commis cette erreur en­semble et que c’était même ma faute. J’ai pensé que cette science, la pédagogie, c’était peu, sur­tout pour lui. Ensuite, je m’avise: non, mon chéri, qu’est-ce donc que cela? Pendant une demi-an­née tu as plié des cuillers au foyer, et maintenant, pendant une demi-année, qu’est-ce que tu vas faire? Tu veux me tourner en ridicule? Ne saistu pas ce qui fait l’autorité du président du kol­khoze? De quel oeil me regardera-t-on au comité de district? Sans parler des kolkhoziens? «Son fils, diront-ils, n’est qu’un polisson, une longue perche...»