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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    — Va voir, qu’il ne tombe pas, lui dit-elle, sa femme, avec cette simplicité habituelle comme c’était sa fille qui y dormait, mais ses mains, join­tes sur son dos, ne le laissaient pas se lever: évi­demment, elle était contente de le posséder. En­suite, elle l’attrapa avec prudence, tandis qu’il se levait et se tenait debout, ne voulant pas échap­per à scs mains d’une façon inattendue et brusque.
    Le garçon dormait, la joue collée à l’oreiller. Il voyait, peut-être, les mains de sa maman, des mains larges et douces. La couverture était glis­sée sur le plancher.
    — Est-ce mon fils? son coeur se serra: l’idée ne lui était jamais venue que son fils pouvait grandir quelque part sans qu’il l’eût su, d’une façon secrète. Khodas ne savait pas pourquoi, mais il avait éprouvé de la pitié envers lui-même.
    — Mais qu’est-ce que je fais, il faut le couvrir quand même, il se pencha pour prendre la cou­verture: elle était moelleuse et chaude comme la mousse, une mousse blanche, chauffée au soleil, loin d’ici, prés de Moladava. Et de nouveau, la figure d’Aksiénia, une figure lointaine et claire, une figure jeune, réapparut, comme à travers une pluie grosse et grise d’une façon inexpressive et vague.
    ...Maintenant Khodas était triste et étonné qu’il était devenu plus vieux, et elle, elle reviendrait toujours à sa mémoire, pleine de beauté et de fraîcheur.
    Et tout à coup, une mélancolie serrante l’enva­hit, il voulut savoir qu’est-ce qu’elle était deve­nue, si elle se souvenait encore de lui, après ce qu’elle lui avait dit, et si elle l’aimait encore. 11 ne savait pourquoi, mais il voulut le savoir.
    Un chariot, faisant du fracas, passait au milieu de la rue; ses roues arrière sautaient sur le pavé. Un jeune Tsigane agile, au cou mince mal lavé, se tenait, agenouillé, à l’intérieur du chariot vide. Le cheval courait au trop, et la chemise rouge du Tsigane s’enflait sur son dos.
    — Et ta mère? demanda Khodas, après que le chariot eut tourné l’angle de la palissade, et le fracas des roues eut résonné sur la place. N’as-tu pas un autre père?
    — Non, le garçon hocha la tête, et ses longs cheveux tombèrent sur son col.
    «Il faudrait les couper», pensa Khodas et se sentit délivré d’un lourd fardeau. Il voyait Aksiénia, qui, la veille de dimanche, après avoir ba­layé la cour, menait le garçon dans une maison, où, se préparant à la fête, tous les garçons du village se faisaient couper les cheveux. Elle demandait au garçon coiffeur de faire beau son fils qui «est envahi par les cheveux au point qu’on ne voit plus ses oreilles».
    — Et comment vivez-vous maintenant?
    — Beaucoup mieux, le garçon cracha sur le trottoir. Maman est trayeuse. Le président du kolkhoze disait qu’il allait nous construire une nouvelle maison.
    Et Khodas se souvint de cette maison, des mot­
    tes de mousse verte sur le toit, du pilier qui soute­nait une vieille poutre courbe. Et devant la mai­son, un pilier gris couvert de mousse sèche, triste indice d’une palissade et d’une porte qui s’y étai­ent trouvées. C’était là un témoignage éloquent qu’il n’y avait pas de maître dans la maison. Il y avait un journal coincé dans le trou qui servait de boîte aux lettres. On voyait des journaux dans toutes les portes. C’était une des préoccupations de la direction du kolkhoze. Peut-être que ce pilier, avait-il gardé sa lettre, sa première et sa dernière lettre, à laquelle Aksiénia lui avait répondu qu’elle s’était habituée à sa vie, et qu’il ne fallait pas éveiller le chat qui dort. Cette lettre était incohérente, on sentait qu’elle avait eu de la pei­ne à l’écrire, beaucoup plus de peine qu’en travail­lant à la moisson: les mots se confondaient. La solitude et le froid lui parvenaient de cette let­tre, comme d’une masion inhabitée. Aksiénia ca­chait qu’elle avait eu un enfant. Mais dans son for intérieur, elle était contente, qu’à deux, la vie leur serait plus facile. Aujourd’hui, quand elle regarde son fils, elle est ivre de joie et elle ne peut s’imaginer vivre sans lui.
    Khodas prit le garçon par l’épaule. Elle était mince et pointue, l’enfant n’essaya pas de se dé­barrasser de la main de son père. Ce dernier se sentit fautif, il ne comprenait pas pourquoi, il se sentait fautif, comme il ne s’était pas senti depuis longtemps.
    — Tu viendras chez nous l’automne de l’an­née prochaine, dit-il sans quitter sa main de l’epaule mince du garçon. J’ai assez: de poires, de pommes. Vous, vous n’en avez pas.
    — Si. Pourquoi? Nous avons un sauvageon derrière la maison.
    Une belle journée de dimanche. La foule sortait de l’église et du magasin blanchis à la chaux. Ils
    débouchèrent sur la place. La chaleur hébétée de l’été tardif se fit sentir. Les rayons du soleil piquaient et chauffaient sec les épaules. Près de l’église, près d’une citerne froide avec du kvas, des hommes faisaient la queue. Quelqu’un avait versé du kvas sur le sable chaud et doux, le kvas disparaissait dans le sable.
    — Mais tu viendras malgré tout, fit Khodas.
    — Oui, pourquoi pas, répondit simplement et sérieusement le garçon.
    Et ce sérieux, que le garçon n’avait pas su dissimuler, remplit de joie le coeur de Khodas.
    «Il est grand, il doit en avoir besoin, d’un grand pardessus? pensa Khodas. 11 faut prévoir qu’il grandira encore...»
    11 se souvint des paroles de sa femme quand elle sortait l’argent enveloppé dans un vieux fichu usé qu’elle avait caché sous le linge dans l’armoire; il ne savait même pas qu’il y avait de l’argent de caché. Elle lui avait dit que le garçon pouvait rester chez eux jusqu’à la rentrée.
    — Nous aurons encore le temps de l’acheter, ton pardessus? Si nous passions au buffet? Nous n’avons pas encore arrosé ton arrivée. Hein?
    Le garçon acquiesça d’un signe de tête, comme un adulte. Et ils continuèrent leur chemin, ils passèrent l’église blanche, le magasin de district, un petit marché derrière le magasin, inondé de poussière, avec son brouhaha, blanc de fichus de femmes. Le buffet se trouvait derrière le marché; une chaleur suffocante, une odeur de bière leur parvinrent d’une porte ouverte toute grande, et des hommes aux visages rouges, forts, en sortai­ent, ils sentaient l’huile et la choucroute.
    Ils s’y dirigèrent, le père et le fils. Personne ne les regardait; tout était humain: la journée, le soleil, le début d’automne et la beautédudimanche. 1964
    Bai'ijss Satchanka
    ooo
    UN REVE
    Adam Piatrovitch était de vingt-cinq ans plus âgé que moi. Quand nous nous étions rencontrés pour la première fois, il occupait imposte considé­rable à l’Académie des Sciences, il avait un grand appartement confortable de cinq pièces au centre delà ville et une «Volga». Et, naturellement, il était marié. Sa femme, Zinaïda Pavlovna, était charmante et toujours gaie. Ils avaient deux en­fants, une fille et un fils. Il avait aussi un rêve, comme je l’appris plus tard, un rêve qui lui était cher. Il rêvait de voir le jour, quand il n’irait plus à l’Académie, ne passerait plus des heures à toutes sortes de réunions et de séances, n’écouterait plus ce qu’on y dit, le jour, quand il pourrait jeter le manche après la cognée et aller à la campagne, pas pour un jour ou pour deux, mais pour toujours.
    — Je voudrais bâtir une simple maison rus­tique quelque part près d’une forêt, ou près d'une rivière, aimait réfléchir à haute voix Adam Piat­rovitch, quand nous nous promenions parfois dans le square de l’Académie ou dans le parc, je vou­drais pêcher, cueillir des champignons, boire du
    lait frais et ne rien entendre, n’avoir aucune idée de ce qui se passe. Tu t’imagines! Ici, à l’Aca­démie, on assiste aux réunions, aux séances, on discute, les uns sont loués, les autres sont cri­tiqués, les uns sont avancés, les autres sont abais­sés, une chose est correcte, une autre est fausse, et toi, tu es loin de tout cela, tu vis une vie tout à fait nouvelle. Tu regardes le ciel, les nuages qui y passent et vont on nv sait où, tu entends les feuilles des arbres bruire, la rivière couler, le rossignol chanter quelque part dans les arbris­seaux, les grenouilles coasser dans les marais, et tu as le coeur plein de joie, de calme, de tran­quillité, d’accord. Tu n’envies personne et tu ne regrettes pas de ne pas avoir dit ce qu’on t’avait prié de dire, il fallait critiquer quelqu’un, mais tu as fait son éloge, ou, au contraire, au lieu de faire l’éloge de quelqu’un tu l’as critiqué. Plus de coups de téléphone, plus d’appels urgents. Tu t’imagines!
    Adam Piatrovitch s’animait, se tournait vers moi brusquement, et je voyais de petits feux s’allumer dans ses bons grands yeux, de petits feux de jeunesse qu’on voit chez tous les amoureux, chez tous les épris. Il s’animait de plus en plus et se mettait à parler de ce qu’il aurait encore fait pour se sentir indépendant et heureux pour de bon.
    — Je planterai autour de ma maison des poi­riers, des pommiers, des cerisiers, des framboi­siers, des fraises, je les arroserai, j’y mettrai du fumier, je binerai la terre autour d’eux, j’at­tendrai leur floraison et le temps où ils me don­neront des fruits. J’aurai des abeilles. Pas beau­coup, cinq ou six ruches. Je m’approcherai d’une ruche et je les entendrai bourdonner. En voilà une qui entre dans la ruche, et en voilà une autre qui en sort. Tu te représentes! Et en hiver, je prends
    mon fusil, et, avec mes skis, je vais dans la fo­rêt, à la chasse. La neige est profonde, et tout est blanc, tout est couvert de givre. Et toi. tu n’entends que le bruissement de la neige et tu regardes les traces laissées sur la neige par des animaux... Tu t’imagines!
    Adam Piatrovitch rêvait encore d’écrire dans le silence et dans le calme ce qu’il avait dans le fond de son coeur, ce, à'quoi il se préparait, ce qu’il avait recueilli pendant des années, et ce qu’il n’osait pas entreprendre parce qu’il craign­ait que dans la ville, en se hâtant toujours, en s’affairant, il pourrait ne pas réussir.
    — Toute ma vie, me disait-il souvent, je ne fais pas ce que j’aurais dû faire. J’ai voulu être agrégé, docteur, ensuite, il m’a fallu occuper le poste de titulaire de chaire, et, après, j’ai décidé de travailler à l’Académie, je croyais que j’y serais plus tranquille. Mais il a fallu défendre ou pren­dre le parti de quelqu’un, ou moi-même, j’ai dû faire preuve de tout mon sérieux et de toute mon intransigeance pour que quelqu’un ne dise pas d’absurdités. Et j’ai tourné comme un écu­reuil en cage et je ne me suis pas aperçu que mes meilleures années avaient passé. Il aurait fallu faire ce que j’étais capable de faire, pour quoi, à vrai dire, j’avais décidé de devenir savant. Mais au lieu de cela, j’entendais de fausses accusa­tions, des intrigues, je brouillais, je réconciliais, je distribuais des appartements, j’organisais des discussions utiles et inutiles, je courais, je télé­phonais, j’allais, je rapportais, je coordonnais, j’exigeais que l’on fasse de cette manière et pas d’une autre... Il me semblait que cela finirait un jour et je me mett rais sérieusement à mon tra­vail. Mais une affaire terminée, il y en avait une autre qui apparaissait. Et je dirigeais quelque chose, je me procurais quelque chose,