Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
je prenais une part active, comme on dit, à quelque chose... Et si je n’étais pas d’accord, si je rappelais que j’étais un savant, que je devais faire mon travail, à moi, on me calmait: tu as toute ta vie devant toi, tu as encore le temps de faire ton travail... Et maintenant, je vois, la vie passe et mon travail n’est pas fait. C’est pourquoi je rêve à ce temps quand je n’irai plus le matin à l’Académie, et quand, en général, je serai loin d’ici: supposons que je fasse quelque chose dans le jardin, ensuite, je vais dans la forêt et je me promène près de la rivière, je me mets au travail.
Nous étions du même village, Adam Piatrovitch et moi, et, profitant de cette parenté, je lui disais souvent:
— Et pourquoi ne voulez-vous pas, Adam Piatrovitch, vous acheter une maison de campagne pour vous y cacher de temps en temps.
— J’ai essayé, souriait Adam Piatrovitch dans son épaisse moustache grise. J’ai eu une maison de campagne. Mais j’y ai renoncé, je l’ai vendue. Une maison de campagne, c’est la même chose qu’un appartement de ville. Tout s’y répète, les gens et les soucis. Et encore, l’essentiel, c’est qu'il n’y a pas de calme. Si on a besoin de moi, on m’y trouvera, on viendra me chercher en voiture et on me prendra... Non, la maison de campagne, ce n’est pas pour moi... J’ai besoin du repos, je veux qu’on ne me trouble pas, je veux la paix, être seul, tout seul, pour quinze jours, deux mois, un an... C’est alors que je ferais ce que je m’étais proposé de faire... Par exemple, si je m’installe même dans notre village, je pourrai y travailler. Nous avons là-bas une petite rivière et une forêt.
J’avais quitté mon village vingt ans après lui.
— Vous oubliez, Adam Piatrovitch: le village n’est plus le même qu’il avait été jadis. Là, comme en ville, il y a des voitures, des télévi
seurs et des téléphones. Et il n’y a plus de bonnes forêts, on y a abattu des arbres et on a desséché les marais. Et cette petite rivière où j’avais pêché des silures ressemble en été à un petit ruisseau, elle tarit. On peut la traverser sans se mouiller le pantalon.
— Ce n’est rien, le village reste toujours village, ne me cédait pas Adam Piatrovitch. Chaque matin le vacher mène paître les vaches, et le soir, il les rentre... Et les bleuets poussent près des chemins, comme ils poussaient autrefois, les hirondelles et les rossignols chantent toujours comme ils ont chanté... Et quel silence dans le village! Non, un village ce n’est pas une ville... Il n’y aura plus de réunions, plus de lutte pour avoir un poste supérieur, pour être plus autoritaire.
C’est ainsi que disait Adam Piatrovitch, en se persuadant et en me persuadant aussi du bienfondé de ses opinions, quand nous nous promenions dans le square de l’Académie, ou dans le parc.
Et il arriva, cela arrive souvent qu’Adam Piatrovitch ne vit pas ces jours quand il n’irait plus le matin à l’Académie, quand il ne passerait plus des heures à toutes sortes de séances et de réunions, n’entendrait plus ce qu’on disait là-bas. Une fois, quand il présidait une séance, il y eut une crise cardiaque...
... Maintenant, quand je me promène dans le square de l’Académie, ou dans le parc, ou quand je vais tout simplement dans la rue, et j’entends quelqu’un rêver à haute voix de ce qu’il ferait , quand il n’irait plus le matin au travail, ou quand il ne lui faudrait pas gagner son pain, je souris tristement et je revois mon pays, mon bon et gentil Adam Piatrovitch.
Oaladzimir Karatkévitch
ooo
QUAND J’AVAIS DES OURS
Mon père était forestier. Mon grand-père était forestier, et mon arrière-grand-père, lui aussi, était forestier. Et tous mes oncles paternels étaient forestiers, ou sylviculteurs, ou étaient liés, d’une façon ou d’une autre, avec la forêt et la sylviculture. Nous formions une grande dynastie de forestiers, et môme mon petit neveu ne rêvait que du métier de ses aïeuls.
Et de toute cette dynastie, moi seul, brebis galeuse, je suis peintre-animalier. C’est celui qui peint les animaux.
Mon père ne s’habitua que difficilement à cette trahison de ma part, et seulement, quand, après avoir longuement réfléchi, il s’était convaincu que les animaux appartenaient, eux aussi, à la forêt, et, que pour la plupart du temps, je peignais dans la forêt et non pas dans une ménagerie. Ce qui l’avait convaincu surtout, c’était une haute appréciation donnée à mes travaux par Vassil Aliakséévitch Vataguine, célèbre peintre-animalier.
Mais il ne s’agissait pas de moi ou de mon travail. Il était assez éloquent par lui-même. 11 était
éloquent notamment dans la mesure des efforts que j’y avais mis, ni plus, ni moins. Et aussi dans la mesure de mes capacités.
Mon travail avait un caractère spécifique, et c’est pourquoi ma maison était toujours pleine d’animaux de toutes sortes. Sous le lit, on pouvait trouver le gîte des hérissons, des tortues, des cobayes. Les appuis de fenêtres étaient encombrés d’aquariums, où on voyait des poissons d’espèces différentes. Vassilisk, mon chat siamois, avait essayé de les chasser, sans succès, d’ailleurs. Dans ma maison qui se trouvait à l’extrémité du bourg, il y avait toujours plusieurs chiens de races différentes. J’avais de mon temps des louveteaux, des renardeaux, un petit singe, un petit guépard et encore beaucoup d’autres animaux.
Je me souviens de la maison de district forestier. Très ancienne, bâtie avec des poutres en chêne, elle se trouvait loin de notre maison. En automne, elle se couvrait de feuilles rouges, bruissant mélodieusement, et plus tard, à l’arrivée de l’hiver, son toit de bardeaux brillait doucement d’un éclat argentin. Une légère vapeur montait au-dessus des bardeaux et s'évaporait vers le ciel, alors que quelques gouttes rares tombaient sur les courges, couvertes de sueur froide, qu’on gardait sous le toit.
De notre mezzanine on pouvait voir des étables à un étage, un chadouf de puits, un fenil, qui semblait avoir été mal peigné. Et encore, une petite source au milieu d’un pré, entourée d’une cage. Des fenêtres de droite on voyait un vieux bosquet derrière la maison de district forestier, et, plus loin encore, une haute futaie appelée Zaféevski, à troncs de cuivre, qui s’étendait sur plusieurs dizaines de kilomètres et qui bruissait, en agitant ses feuilles, et tendait ses branches au ciel.
Des fenêtres de gauche on voyait un pré taché de couronnes d’arbres qui descendait vers le lit d’une rivière, et, au-delà de la rivière, on voyait encore des prés. Des chênes séculaires, bleus dans le lointain, s’élevaient dans les prés. Et là, quelque part, derrière les derniers chênes, très loin, il y avait le Dniéper. Et de l’autre côté du Dniéper, si on faisait deux kilomètres en canot, il yavait une petite ville, où on venait pour acheter tout le nécessaire, et, parfois, en visite.
C’est le pays de mon enfance, mais je n’y vais jamais. Parce que je prévois la tristesse avec laquelle m’accueillira mon pays, où je ne reconnaîtrai rien, bien que le feu de la guerre l’ait épargné. Même s’il l’avait épargné, on y avait construit et reconstruit, on y avait abattu des arbres, et on en avait planté de nouveaux. Et je veux qu’il reste tel que je l’ai vu dans mon enfance, le meilleur pays de la Biélorussie, qui est toujours pour moi la meilleure terre au monde!
Je n’y retournerai qu’avant ma mort, quand l’homme éprouve une tentation irrésistible de revoir tous les lieux qu’il a habités dans son enfance. C’est la même chose qui force unétourneau à revoir son nid avant le voyage d’où il ne reviendra, peut être, pas. C’est la même chose qui oblige un ours à faire le dernier tour de son domaine. C’est la même chose qui nous unit avec le monde animal dans le cercle unique de l’être. Et alors je reverrai mon père, à cheval, et les gardes forestiers, riant de ses blagues fines comme du gros sel. Je reverrai le vieux Marka qui m’avait appris à attirer les poules de bouleaux rien que pour les voir, et qui m’avait appris à mettre un chien en piste, et à le faire tomber en arrêt. Il me prenait souvent avec lui pour pêcher de grandes tanches dans les cours latéraux des rivières. Je reverrai ma mère conduisant une char
rette avec adresse, attelant un cheval, trayant une vache, ou, par une nuit d’hiver, il y avait eu cela aussi, se tenant sur le perron et tirant des coups de fusil sur une meute de loups qui avait voulu pénétrer dans la bergerie de Marka.
Mais pour le moment je ne veux pas retourner dans mon pays natal, parce qu’à vrai dire, il me semble toujours que j’y viendrai un jour et j’y verrai l’ourson Bouryk allant à ma rencontre, mon petit Bouryk, qui reniflera, grognera, et me mendiera un bonbon.
C’est bête, évidemment. Trente ans ont passé et mon animal dort paisiblement depuis longtemps quelque part dans les fourrés, (les ours, eux, les plus-puissants, ils ont droit à cette mort-là), s’il n’a pas été tué pendant la guerre.
On me l’apporta pendant l’hiver quarante. Un garde forestier, à joues rouges, à grande moustache frisée, aux yeux doux d’une couleur de tabac de Turquie, me l’apporta. Les gardes forestiers avaient réveillé une ourse, la chasse aux ours n’avait pas encore été interdite, et l’avaient tuée, ils avaient gardé un ourson, le dernier et le donnèrent à mon père.
Mon père l’accueillit fort mal. 11 n’aimait pas le pillage forestier inutile.
— Tuer une ourse! Mais vous êtes fous!
— Mais, ça... Dieu sait qui était caché dans les buissons. Et quand elle est sortie, il était trop tard. Sauve qui peut. Ours réveillé, ours perdu.
— Je vais passer un savon à Pilipovitch, lui, qui ne sait pas qu’est-ce qui se trouve dans son secteur.
— Mais le petit, il faut en avoir pitié, fit un garde forestier de Roumel sans aucune logique. On ne va pas le jeter dehors, il gèle trop fort.
— Et le petit, à quoi sort l’avez-vous condamné? demanda mon père. S’il est sauvage, qu’il le reste à sa joie. Et autrement, il ne sera ni apprivoisé, ni sauvage. Il cherchera la compagnie des gens et il leur fera peur. D’où est-ce qu’ils sauront qu’il ne fera pas de mal à une mouche? Et alors, il attrapera une balle. Alors, il ne nous reste qu’à le tuer, ou le donner à une ménagerie, ce n’est pas du sucre.