Nouvelles d'auteurs biélorusses
Выдавец: Мастацкая літаратура
Памер: 405с.
Мінск 1977
Je restai encore un moment. Et ce ne fut que lorsque Ganka partit, que j’eus honte de ma conduite, un trouble confus me pénétra. Je me souvins de la conversation que j’avais eu la veille avec Mikita, de la franchise avec laquelle il m’avait parlé de la jeune fille, des paroles de la mère Aouguinia. Je n’arrivais ni à comprendre, ni à me pardonner ma conduite.
Ce soir-là, je rentrai sans faire de bruit. Et pendant que je me déshabillais, je ressentis le besoin de parler à Mikita. Le hasard voulut qu’il m’adressât la parole:
— T’as quelque chose à fumer? Il ne me reste plus rien. On a beaucoup fumé ce soir...
Je savais bien que Mikita mentait, il avait acheté aujourd’hui assez de tabac et de cigarettes. Je me troublai davantage.
— Il y a longtemps que tu es rentré? lui demandai-je d’une voix mal assurée, en lui tendant une cigarette.
— Moi? Tout de suite après toi... Dès que tu es sorti de chez la Khviédartchykha...
— Ah! oui, mais... tu étais resté...
Je ne savais plus quoi ajouter. Je me couchai; longtemps, je ne pus m’endormir cette nuit-là...
Le soir du jour suivant la vieille vint s’asseoir près de moi, soupirant, d’une voix plaintive, elle commença:
— Dis, petit, tu as un père, toi, hein? C’est bien que tu en aies un: un coup de main pour ta mère. Sans père, tu sais, c’est bien difficile. Eh, oui! bien difficile! Mon homme est mort.
C’était un bel homme, mais il est mort. Il a eu une sale maladie: il a pris froid à la tête, il a traîné un an, et puis, il est parti... Mon fils n’est pas rentré de guerre. C’était un beau gars, c’était pas Mikita. Les filles lui couraient après par... Mais qu’est-ce que j’ai à bavarder: il faut mettre le lait au four, il aura, peut-être, assez de la nuit pour cailler.
La mère Aouguinia s’affairait près du four et ne s’arrêtait pas de parler. «Elle a dû apprendre quelque chose, pensai-je. C’est bien désagréable.» La vieille revint près de moi, se mit un peu de côté, baissa la tête, laissa pendre ses bras, son visage prit un air de profonde tristesse.
— Les filles d’aujourd’hui ont des goûts bien difficiles, me dit-elle. Elles veulent avoir un beau garçon, et puis, qu’il soit encore de la ville. Elles ne pensent pas qu’avec un homme on a toute une vie à passer. Il faut que l’homme soit bon... mon Mikita, par exemple... C’est un secours pour la maison. Et puis, il est au kolhoze, tous les jours... Et puis, il y a des filles qui ne veulent pas avoir de difficultés... Au fait, toi, mon garçon, tu es marié, non? D’âge, tu dois être vieux...
Tout à coup elle se mit à rire, tout bas, se retenant, comme si elle avait honte de son rire.
— J’ai entendu que t’allais voir notre fille, dit-elle sans me regarder, et, je ne sais pourquoi, s’essuya le visage avec son tablier. Qu’est-ce que tu veux...
Et elle recommença à se plaindre:
— Qu’est-ce que tu veux... Toi, tu as envie d’un peu d’amour. Et elle? Elle croit que tu lui appartiens...
J’eus sur la moment envie de lui dire un mensonge, de lui dire que j’étais marié, alors la vieille l’aurait colporté dans le village et Ganka m’aurait évité. Mais, confus, je gardai le silence.
Ce soir-là, je ne sortis pas, je décidai de ne pins revoir Ganka. Mikita ne m’appelais plus pour aller se promener, et, chaque soir, il disparaissait seul...
Le temps de retour arriva. Je restai fidèle à ma décision et pas une fois je ne revis Ganka. Un jour, Ganka vint voir la mère Aouguinia et lui parla je ne sais de quoi. Tout le temps de la conversation je restai derrière la cloison, sans me montrer dans la cuisine. Lorsque Ganka partit , je regardai par la fenêtre et je la vis, tête baissée, pensive, qui se dirigeait vers la porte. Mes pensées me ramenèrent au jour de notre première rencontre; la mélancolie et la tristesse m’envahirent...
Un an vient de s’écouler, nous voilà de nouveau en automne. En ville l’automne n’a rien de remarquable, à part les feuilles qui bruissent sous les pas dans les squares. Mais l’odeur de la terre remuée par un excavateur me rappelle un autre automne, me fait revivre d’autres journées. Je revois Ganka. Il me semble entendre sa voix, calme, douce et profonde à la fois, mêlée de notes tremblantes...
Pourquoi me suis-je conduit ainsi auprès de Ganka? Pourquoi?
J’ai envie de retourner au village, de la revoir et de lui dire: «Ganka, je te demande pardon de t’avoir trompé. Le plus trompé de nous deux, c'est moi».
Rien ne me fera oublier ce souvenir d’automne.
1958.
Ouladzimir Damachevitch
ooo
LE PETIT CHEVAL GRIS
I
Le petit cheval avait seulement un an de moins que moi, et, autant que je m’en souvienne, il ne changeait pas, il paraissait avoir deux ans, pas plus. Il avait le poil gris, avec un peu de rousseur couleur de rouille, il était plus foncé en été plus clair en hiver, de taille moyenne, avec des pattes fines et fortes, les muscles des épaules et du poitrail bien développés, le ventre ovale; il avait au flanc gauche, sous la peau, une enflure grosse comme un oeuf écrasé, la trace des efforts trop grands. Le petit cheval était très fougueux, surtout quand il avait faim, alors il ne fallait pas s’en approcher. Quand on avait besoin de lui et qu’il était au pré, inutile d’aller le chercher les mains vides, il fallait prendre un sac avec de l’avoine ou un seau avec des épluchures.
Il avait peur des voitures. Il avait une telle peur, qu’évidemment, pas tout le monde se serait aventuré avec lui sur une grande route, si, au moins une fois, il aurait vu ce que faisait le petit cheval gris à la vue d’un véhicule. Et il avait, peut être, peur des voitures parce qu’il y en avait si peu sur les routes «des fins-fonds de l’Est», c’est ain
si que les propriétaires polonais appelaient la Biélorussie de l’Ouest. On avait encore beaucoup plus de mal avec lui en ville; il lui arrivait de s’emballer, de retourner la charrette, de renverser des palissades, de faire beaucoup de dégâts. Et mon père, plus d’une fois, s’était vu infliger des amendes par des agents de police chicaniers.
Mais mon père en arrivait plus ou moins à bout; de son cheval, il ne s’en plaignait jamais parce que, à part le mal qu’il faisait, l’animal possédait des qualités que d’autres n’avaient point. Mon père n’avait pas besoin de lui montrer de fouet, c’est pourquoi, d’ailleurs, il n’en avait pas. Pour maîtriser la colère du cheval mon père avait la sienne, plus grande encore, et puis, il était d’une force à laquelle on avait du mal à croire. Mon père était sec, d’une taille un peu plus petite que la moyenne, étroit d’épaules, un peu voûté, mais nerveux, obstiné et solide. Il avait une poigne de fer et lorsqu’il saisissait quelque chose, c’était comme s’il la prenait avec des tenailles.
Le cheval et le propriétaire faisaient la paire. Et lorsqu’on voyait mon père avec son attelage, on ne pouvait pas se le représenter avec un autre cheval. Pour mon père, propriétaire pauvre, c’était une trouvaille, et c’est pourquoi il l’aimait et l’appréciait à sa manière.
Malgré cette union, le propriétaire et le cheval avaient une antipathie réciproque, mais que faire? Ils n’auraient pu vivre séparés, surtout le propriétaire. 11 y avait peu à faire sur deux hectares et demi de terre; mon père partait souvent avec son cheval travailler ailleurs et pour une famille comme la nôtre, ça comptait, d’autant plus, qu’un homme avec un cheval, ça gagnait double, parfois le triple. Voilà pourquoi mon
père restait peu à la maison. Il revenait de temps en temps, gai, s’il avait eu la chance de gagner un peu d’argent. Il rentrait parfois furieux, criard, mal rasé, les joues creuses, fronçant les sourcils et lançant des regards de colère. Le cheval changeait aussi, ses flancs se creusaient davantage, ses côtes apparaissaient, saillantes et larges comme des cerceaux de bois.
Près de la maison il y avait un lopin de terre où on laissait parfois paître la vache; mais le cheval s’y trouvait plus souvent parce que la vache pouvait durant la journée brouter ailleurs, alors que le cheval ne s’arrêtait pas de travailler.
...Mon père amena le cheval sur la parcelle de pré, l’attacha à des rênes. On ne le laissait pas entravé car il ne restait jamais en place et risquait de causer des dégâts. Et puis, il y avait la forêt, essayez de le retrouver après.
La nuit commençait à tomber. Je venais juste de faire rentrer la vache et j’étais occupé à attraper des hannetons qui venaient manger les jeunes pousses. Je secouais les noisetiers, les hannetons tombaient comme les noisettes en automne. J’en avais plein la poche. Je m’approchai du cheval qui broutait le trèfle avec ardeur. Le frèfle était encore jeune et court et les dents du cheval claquaient, se refermant sur le vide. Le cheval, sur ses gardes, coucha ses oreilles, cela signifiait qu’il était en colère et qu’il ne fallait pas s’approcher. Mais je ne sais pourquoi, je ne fis pas attention à ce signe et je voulus le prendre par la bride.
Tout à coup il hennit et se dressa devant moi sur ses pattes de derrière. Je vis ses sabots, comme deux massues, suspendues au-dessus de ma tête. J’eus si peur que je n’eus même pas le temps de pousser un cri. Le cheval, après cette sortie inat
tendue, se tourna et se remit à brouter comme si rien ne s’était passé. Je restai sur place, reprenant mes esprits, ensuite je reculai le plus loin possible du cheval, mais ce dernier était occupé à manger et ne faisait même pas attention à moi.
Le cheval savait également mordre, je m’en rendis compte sur ma propre peau. L’enclos, qui faisait étable et écurie en même temps, assez étroit, était partagé en deux parties. L’une était occupée par la vache, dans l’autre il y avait le cheval. Une partie de l’enclos tenait à un sapin qui s’élevait au-dessus du toit comme une pyramide. Près du sapin se trouvait l’auge, fixée sur de hauts pieds.
Au-dessus du cheval, sur une claie, il y avait de la paille où les poules venaient pondre. Ma mère me dit d’y monter pour ramasser les oeufs. Je pris le boisseau, servant à l’avoine, je ramassai les oeufs, près d’une dizaine, et je voulus regarder dans l’auge. Certaines poules avaient pris l’habitude d’y déposer leurs oeufs.