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  • Nouvelles d'auteurs biélorusses

    Nouvelles d'auteurs biélorusses


    Выдавец: Мастацкая літаратура
    Памер: 405с.
    Мінск 1977
    76.4 МБ
    La porte claqua dehors, je collai le nez à la vi­tre. Une jeune fille, pas haute, découverte, se di­rigeait vers le perron, la tête un peu penchée sur le côté comme pour réfléchir ou par habitude. Je n’eus même pas le temps de penser à quelque chose, qu’elle était déjà sur le seuil de la porte; me voyant, elle s’arrêta, la main sur le loquet:
    — Vous savez... j’ai cru voir Mikita.
    Je me sentis mal à l’aise comme si j’étais fautif que Mikita ne fût pas à la maison, et, je ne sais pourquoi, je demandai:
    — Vous venez voir Mikita? Il est...
    — Vous croyez?
    J’étais enchanté de l’entendre parler, de la manière dont elle prononça «vous croyez?» Sa voix était calme, douce et profonde, avec des notes basses et tremblantes, très agréables. Je la regardai ne sachant s’il fallait lui dire de rester ou continuer à parler de Mikita. Quant à elle, elle avait remarqué les ordures près du seuil, elle saisit le balai et se mit au travail. Alors je devi­nai que c’était Ganka. Je la regardai avec curiosi­té. Ce qui sautait aux yeux, c’étaient ses cheveux, très noirs, qui tombaient sur son visage, couvraient son front. Elle avait le nez droit, un nez mig­non. Scs joues devinrent pourpres de confusion, ou d’émotion.
    Je lui dis, je no sais pourquoi:
    — Pour sûr, vous êtes Ganka! Je vous con­nais.
    Elle se redressa et me regarda sans étonne­ment.
    — Moi aussi, je vous connais.
    — Tiens! Et d’où?
    — Je vous ai vu. C’est que nous sommes voi­sins...
    Je me tus. Ganka ramassa les ordures et sortit.
    — Il faut que j’aille arracher un pou de pom­mes de terre, dit-elle, revenant. Vous avez peutêtre faim? Alors je vais chercher quoique chose...
    Je fus touché par sa simplicité. La gêne était passée. Et je me mis à parler, en plaisantant:
    — Oh! non! J e préfère aller avec vous au jardin. Je vais vous aider, et, en même temps, je vais voir de quoi vous êtes capable. Et puis, on verra
    si la mère Aouguinia a choisi une belle-fille com­me il faut.
    Ganka me jeta un regard calme et clair, plein de reproche. Je fus troublé de voir ses yeux, si purs, si confiants.
    — Pourquoi? soupira-t-elle. Je viens simple­ment aider la mère Aouguinia... C’est elle qui me le demande. Vous êtes méchant.
    — N’en parlons plus, dis-je rapidement, com­me pour me justifier. Tenez, prenons la bêche et allons au jardin.
    Nous sortîmes de la maison, passâmes par­dessus une petite palissade affaissée et nous nous retrouvâmes dans le jardin. Entre les pommiers on voyait des pieds de pommes de terre aux feuil­les noircies par le temps, ça et là, il y avait des pommes, tombées des arbres. Ça sentait les feuilles pourries, la terre humide; l’automne était avare en effluves.
    — Il fait frais, dis-je, ça sent...
    — Oui, répliqua Ganka, quelque chose comme., le vide, et elle fit un geste de la main.
    Nous nous mîmes au travail; je retournais les pieds avec la bêche, Ganka ramassait les pommes de terre. Le panier se remplissait vite. Et voilà que par maladresse, secouant la bêche, la terre tomba sur les pieds de Ganka. Elle se mit à rire, et, sautillant sur un pied, elle essaya de retirer sa sandale, mais elle perdit l’équilibre et bascula. Je tendis les bras pour la rattraper, et, sans le faire exprès, j’effleurai la poitrine de la jeune fille. Ce fut si inattendu que je perdis contenan­ce. Et quand je levai les yeux, je vis devant mon visage la bouche de Ganka. Je crus, à ce moment, ressentir la chaleur de ses lèvres frémissantes... Ganka recula et lentement vida la terre de sa sandale. Je ramassai les pommes de terre. Nous nous taisions.
    — Tiens, voilà la mère Aouguinia... la première rompit le silence Ganka.
    La vieille n’avait pas pris la rue pour rentrer, elle coupait au court à travers les champs. Elle nous aperçut, s’approcha, repoussa une mèche de cheveux qui était sortie de dessus son fichu et, affairée, se plaignit:
    — Oh! Que le... Je n’en peux plus... Je vois que Mikalaï t’a aidée... Et elle se força pour sou­rire. Alors, viens, Ganatchka1, rentrons: j’ai acheté des harengs salés, tu vas, peut-être, en prendre pour les tiens.
    — Oh, non, maman Aouguinia! Ce n’est pas la peine. Et puis, je m’en vais.
    — Mais, dites donc?! Elle n’en a pas besoin... lança la vieille à la suite de Ganka. La tante, chez qui elle est, a six bouches à nourrir... Elle a pas eu de chance,la fille: son père est mort,comme mon homme... Et puis après, sa mère... Et voilà ce que je pense: si seulement ils pouvaient s’enten­dre, avec Mikita... Ça m’aiderait rudement. Elle prendrait le gars en mains. C’est une bonne fille. Mais oui, une bonne!
    — Mais oui, répétai-je après la vieille.
    — Tu vois, toi aussi, tu le dis... Elle te plaît, je vois.
    A vrai dire, Ganka me plaisait, et il me sem­blait qu’il n’y avait qu’avec moi qu’elle était aussi sincère, douce, que moi seul ses yeux regar­daient, confiants.
    — Eh, oui! soupira la vieille. Une fille pareille fera le bonheur de n’importe qui...Mais où est donc Mikita?..
    Mikita rentra tard le soir. Un peu ivre, affamé, il se jeta sur les harengs et n’en finissait pas de ronchonner qu’il n’y avait pas de pommes de
    1 Ganatchkadiminutif de Ganka. (N. d. T.)
    terre. J’avais faim, moi aussi, je mangeai avec appétit.
    — Viens, on va se promener. Mikita se leva de table. Il y a longtemps que les filles sont chez Khviédarcthykha... Alors, tu viens?
    Je le suivis.
    — Où tu vas? s’inquiéta la mère Aouguinia. Tu ferais mieux de rester près du verger. Il peut y avoir un maraudeur. Il va casser toutes les bran­ches...
    — Il n’arrivera rien à ton verger, dit Mikita, en faisant un geste, et me tira hors de la maison...
    — J’ai vu ta voisine, lui dis-je, une fois dans la rue.
    — Et alors?
    — Pas mal. Tu vas l’accompagner ce soir?
    — Pourquoi que tu me demandes ça?
    — Bien, tu as bu un coup, ça se voit...
    — Tu parles...
    Nous entrâmes dans une maison où, il est vrai, il y avait beaucoup de jeunes filles. Je ne connais­sais personne, sauf Ganka, qui nous sourit gen­timent et chuchota quelque chose à l’oreille de sa voisine. Celle-ci, voyant un nouveau, s’em­pressa de mettre la main à son foulard d’où des boucles s’étaient échappées, tombaient sur son front. Nous nous approchâmes de la table auprès de laquelle des garçons fumaient à qui mieux mieux. Nous nous installâmes sur un banc. Nous nous mîmes à fumer aussi. Dans les nuages bleus de fumée, la lampe à pétrole semblait se balancer comme sur des vagues.
    — Mikita! Mikita! appela Ganka. Venez ici! Et vous aussi, tout le monde, on va jouer aux gages.
    La proposition avait plu à tout le monde. Les fumeurs acharnés quittèrent la table, les jeunes filles s’animèrent. Il y eut du bruit d’un seul
    coup. On no voyait pas les propriétaires, quelqu’un dormait sur le four. Je m’approchai de Ganka et m’assis à côté d’elle.
    Le jeu commença. Ganka était engagée plus souvent que les autres. Quant à moi, l’émotion m’empêchait de citer son nom.
    — Pourquoi vous êtes si triste? me demanda Ganka. Faites attention, ne perdez pas! Vous n’ar­riverez pas à vous racheter.
    Mais elle aussi suivait mal le jeu et venait de perdre sa broche, ensuite, elle remit, en riant, son peigne qu’elle retira de ses cheveux. On me prit mon porte-cigarette.
    — Assez, cria quelqu’un. Passons aux gages!
    Deux garçons ramassèrent tous les gages et s’éloignèrent . Ils chuchotèrent longtemps près du seuil de la porte. Ensuite un des garçons se mit au mi lieu de la pièce, cacha sa main derrière le dos et demanda aux jeunes gens:
    — Que doit faire le propriétaire de ce gage?
    — Ramener du bois de la forêt!
    On se mit à rire.
    Le garçon tendait mon porte-cigarette. J’étais perdu, je ne savais pas ce qu’il fallait faire dans une situation pareille. On me vint en aide. Je sortis dehors et tapai dans le mur avec un morceau de bois que j’avais trouvé.
    Le tour de Ganka arriva: elle dut danser la «Liavonikha», et, un peu gênée, elle fit un tour de danse dans la pièce. Ensuite on tira deux gages à la fois et Ganka, pour les racheter, fut obligée d’em­brasser un garçon. Le garçon s’approcha, essaya de la décider, lança un regard de soutien dans l'assemblée, voulant dire: «Regardez, moi, je suis prêt. Ça ne dépend pas de moi.» Ganka faisait des manières et repoussait le garçon trop entrepre­nant. Tout le monde riait de bon coeur. On com­mença à insister, Ganka se mit en colère, s’assit
    sur un banc et ne desserra pas les dents, elle regarda jouer sans intérêt.
    Il était temps de rentrer. Je le dis à Mikita, mais celui-ci voulut rester encore. Personne n’avait l’intention de partir. Je sortis sans me faire remarquer.
    La nuit enveloppait le village, une nuit éclai­rée par la lune. Des taches d’ombre traversaient la rue. On parlait haut encore quelque part dans la cour du kolkhoze. Un chien tirait sur sa chaîne. J’entendis quelqu’un me rattraper vivement. Je me retournai et je vis Ganka.
    — Vous rentrez?
    — Ouai...
    Nous marchions côte à côte, sans parler. Par­fois nos épaules se touchaient, alors Ganka riait doucement, s’écartant par pudeur. Je lui pris la main et commençai à lui serrer doucement les doigts, soumis et chauds. En cette minute, elle me semblait si compréhensible, si proche...
    Nous nous arrêtâmes près de sa maison. L’ombre épaisse de la palissade tombait sur le chemin. Je tirai doucement Ganka par les mains, et, me pen­chant, je commençai à Гembrasser sur les lèvres, des lèvres chaudes, un peu rudes. Ganka se ser­rait contre moi et se taisait...
    Je me taisais aussi.
    Il y a des moments agréables dans l’intimité de deux êtres, quelque chose d’excitant et doux à la fois, de pur comme une journée de prin­temps. Ces minutes merveilleuses, ce doux rap­prochement n’ont pas besoin de paroles. Ganka m’était sympathique et c’était un plaisir pour moi d’être avec elle. Alors je ne pensais pas à Mikita.
    Mais bientôt Mikita nous rappela qu’il exis­tait. Il marchait le long de la rue et n’était pas loin de nous. Nous l’aperçûmes à temps, Ganka
    et moi. «Tu aurais pu rester où tu étais, pensai-je avec colère. Ganka s’est enfuie.» D’un seul élan, en silence, nous entrâmes dans la cour et nous nous collâmes contre le mur de l’entrée. Mikita passa sans tourner la tête. En réalité, il nous avait vus et avait tout compris...